Le cadeau
Je rentre sans me presser, pas parce que je n’ai pas envie de rentrer – il faudrait être fou pour vouloir rester dehors avec ce temps ! – mais parce que je suis trop épuisée pour faire autrement. La journée a été longue, et savoir que je suis enfin arrivée à la maison est un vrai soulagement.
Je secoue mon manteau plein de neige avant de le pendre à sa place, puis j’enlève soigneusement mes bottes trempées. Inutile d’inonder le parquet. Frottant mes mains l’une contre l’autre, j’ouvre la porte du coude et entre dans le salon. Aussitôt, une bonne odeur de chocolat envahit mon champ olfactif.
Mon homme est à la maison ! Miracle des miracles, il a préparé un bon chocolat chaud bien crémeux. Me saluant d’un baiser et d’un sourire, il se dépêche de remplir ma tasse nounours à raz bord, puis d’y ajouter un rien de crème fraîche.
-J’ai acheté un livre, si ça te dit. Je pense qu’il te plaira.
Je réponds d’un ronron et d’un bisou passionné. Sisi, même les bisous peuvent l’être. La preuve…
Convaincus ?
-Que d’attentions aujourd’hui !
-C’est parce qu’aujourd’hui est un jour spécial…
Il dit ça sur un ton mystérieux, et je retiens une vague de panique. Je n’ai quand même pas oublié son anniversaire ? Non, ça ne m’arrive jamais. Celui de notre rencontre ? Ou du moment où nous nous sommes mis à sortir ensemble ? Une fête quelconque ?
Un rire chaud résonne dans la cuisine, se moquant gentiment de moi. Zut. Apparemment, je n’ai rien oublié, c’est lui qui s’amuse à me rendre folle. Méchant garçon, va.
Il m’entraîne vers le salon, portant nos tasses qu’il dépose ensuite sur la table. Il allume la Machine – notre chaîne hifi personnelle – et les premières notes d’une BO de Gary Elfman carillonnent doucement. Je ronronne encore. J’adore cette musique.
Il sort quelques minutes de la pièce, me laissant le temps de m’entortiller dans une couverture. Je suis gelée, quelques minutes me seront encore nécessaires pour me réchauffer un peu, mais le chocolat chaud devrait aider. Dehors, le temps change, et la neige cesse de tomber alors que retentit le tonnerre au loin. Un orage en hiver, fait rare…
Mon homme revient s’asseoir près de moi, me permettant de me blottir contre lui. Un paquet bleu, entouré de gaze gris pâle et d’un joli nœud argenté se téléporte alors sous mon nez.
-Le livre dont tu parlais ? Tu t’es donné du mal, tu n’as même pas gardé l’emballage de la librairie !
Une plaisanterie entre nous. Même emballé, un livre, un CD ou un DVD, est toujours reconnaissable ; seul le titre est vraiment une surprise. Evidemment, le fait que j’aie tendance à laisser bien en vue les marques de l’Agora (la librairie locale) ou du magasin de musique facilitent la tâche. Mon homme fait la même chose d’ailleurs ; aucun de nous n’est très doué pour emballer les cadeaux
Cet emballage-ci me turlupine d’ailleurs. Il porte la patte d’un de mes sœurs – elles en font de magnifique chaque Noël. Mais si mon homme ne m’a pas acheté ce livre pour une occasion particulière, pourquoi aurait il pris la peine de demander des conseils ?
-Alors, tu l’ouvres ?
Un petit quelque chose d’étrange dans sa voix, comme de l’appréhension. Interloquée au possible, je commence donc à détacher soigneusement le nœud, puis le papier, me retenant difficilement de le déchirer. Habituellement, je m’amuse toujours beaucoup à voir les gens qui me font des cadeaux trépigner alors que je déballe le plus lentement possible, mais là, je me pose vraiment des questions.
Enfin, le livre est sorti de son écrin de papier, et je le retourne pour pouvoirs en lire le titre. Je déchiffre les lettres. Et bloque.
Il n’a pas osé ?
Je me trompe ?
C’est juste un livre…
Je lève un regard timidement interrogateur vers lui, et il opine tout aussi timidement.
Je souris.
Et je l’embrasse.
Veux tu m’épouser ?
Fin