Chroniques d'un cycle : Les Enfants de Saâgh

Chapitre 13

« Je suis le Maudit. Je suis celui qui représente ce que vous n’aimez pas en vous, vos plus bas instincts. Je suis celui qui aime voir souffrir, qui raffole des meurtres et de la luxure. Je ne suis pas le Mal – mais Je n’en suis pas loin. Je suis le Sang. »

 

– Les Dits de Saâgh, auteur inconnu –

 

Arkim retrouva Cat dans la foule, non sans mal. Elle était parvenue à se glisser presque au premier rang, d’autant plus difficile à rejoindre en arrivant en retard. Il n’avait repérée que par chance ses cheveux noirs dans la masse de blonds.

La jeune fille l’accueillit avec un regard noir qui signifiait « toi, tu ne perds rien pour attendre, et tu as beaucoup, beaucoup de chance que j’aie très envie d’écouter Renaeyle sans quoi je t’aurais tiré les oreilles devant tout le monde ». Arkim lui fit une grimace d’excuses, trop perturbé par ce qu’il avait vu pour craindre la menace de son amie. Il avait eu de la chance que Nataos soit parti immédiatement après en avoir terminé avec sa maîtresse – sans doute pour assister à la conférence.

Le jeune démon regretta de ne pas pouvoir s’adosser à une balustrade. Ses jambes étaient faibles. Il s’efforça de lever le nez vers le balcon d’où Renaeyle parlait, vêtue de son costume officiel de chercheuse royale, et se concentra sur ses paroles.

« … une milice spéciale. Si nous parvenons à nos fins, celle-ci pourra contrer n’importe quel type de créature – tant ange que vampire ou, Nemess nous en préserve, démon, si notre paix avec Belzébuth venait à s’effriter. Cela assurerait la sécurité et la tranquillité de tous et rendrait aux elfes la place qui leur revient. »

Renaeyle parlait d’un ton passionné qu’Arkim ne lui avait jamais entendu. Pendu à ses lèvres, il écoutait, choqué et ravi de ces nouvelles. Donc, ils étaient vraiment spéciaux ? Ils allaient faire partie d’une sorte d’élite ? Dire qu’Ysk ne participerait pas ! Il méritait cette reconnaissance.

À ses côtés, Cat avait les yeux brillants d’intérêt. Plus encore que lui, elle serait touchée par ce changement.

Il en oubliait que la transformation conduite sur Ysk aurait dû lui coûter la vie.

« Comme ces Améliorés seront différents de nous et auront un statut particulier, continuait Renaeyle, nous leur ferons l’honneur d’arborer l’Empreinte, une marque de distinction qui sera apposée sur leur front afin que tous puissent les reconnaître et les remercier de leurs efforts. »

Les réactions furent mitigées ; certains applaudissaient, d’autres discutaient à haute voix dans l’assemblée. La scientifique leva les mains pour ramener le silence.

« Afin de ne pas causer de soucis aux nobles elfes que vous êtes, citoyens, l’Empreinte empêchera les Améliorés de s’en prendre à vous. Vous n’avez pas à vous inquiéter. Cette milice sera faite pour servir notre nation et, si nous obtenons l’accord du Haut Conclave, toutes les nations elfiques ! »

Cette fois, les applaudissements se firent plus francs.

« Ne devrions-nous pas garder ces Améliorés pour nous ? demanda un noble à un autre juste derrière Arkim.

— Vous plaisantez ? À votre avis, qu’arriverait-il si le royaume d’Hedyrn parvenait à lui seul à assurer la sécurité de tous les territoires elfiques ? »

Le premier se mit à applaudir à son tour. Le démon échangea un regard excité avec Cat. Il n’avait pas pensé à cela ! Quel prestige pour la famille Teynan ! Surtout pour Nataos, bien sûr, mais il n’avait pas envie de penser au prince – et puis, un peu de la gloire rejaillirait sûrement sur Kawa, n’est-ce pas ? Après tout, il hériterait du trône.

Renaeyle continuait son discours, élaborant ce que les Améliorés feraient pour Hedyrn lorsqu’ils seraient prêts. Elle soutenait qu’un premier groupe serait actif dans cinq ans. Les elfes, ravis, exprimaient leur contentement aussi poliment qu’ils le pouvaient.

L’allégresse flottait dans l’air. Arkim n’avait guère éprouvé ce genre de sensation en dehors des fêtes de la Lumière ou celles, plus étranges, de Nemess, qui se célébraient au solstice d’hiver. Il se demanda si, cette année encore, les dragons se montreraient lors des festivités. L’an précédent, ces gardiens de l’Équilibre avaient envoyé une délégation et il avait été fasciné par leur allure étrange.

Cat lui saisit le bras, si ravie que ses joues en rosissaient.

« Nous devons prévenir Gamin ! lui murmura-t-elle dans l’oreille. Enfin, Ysk, je veux dire.

— Nous ne savons pas où le joindre… regretta Arkim.

— Ne lui avais-tu pas recommandé de se rendre chez l’une de tes connaissances à Pandémonium ? Nous pourrions envoyer notre courrier là-bas. Avec de la chance, il lui sera remis un jour ou l’autre. »

La queue d’Arkim remua d’excitation. Un reniflement réprobateur se fit entendre aussi s’empressa-t-il de l’enrouler à nouveau autour de sa jambe.

« Excellente idée. Allons lui écrire notre mot ! J’y joindrai une lettre pour le Seigneur Lanek. Nous ne nous sommes connus que brièvement mais je pense qu’il sera heureux d’avoir des nouvelles. »

Cat acquiesça et ils se glissèrent au travers de la foule pour rejoindre le chemin du palais, songeant à leurs formulations et au futur bonheur d’Ysk lorsqu’il saurait à quoi il avait été sacrifié – bien qu’il soit si dommage qu’il ne puisse en profiter alors qu’il le méritait tant. Ils ne remarquèrent pas l’arrivée de Nataos sur le balcon et la reprise des applaudissements lors de son apparition.

 

***

 

Kawa possédait, comme la plupart des elfes, une nature calme et posée. Contrairement à son frère, il s’énervait peu et le montrait moins encore. Pourtant, il lui semblait être arrivé au bout de ses limites. S’il l’avait pu, il aurait fait un carnage.

Il arpenta la bibliothèque de part en part sous le regard dubitatif d’Enngyl, assise sur une des chaises, portant son uniforme de la garde et sa rapière au côté. Sa chère cousine, qui avait pourtant elle aussi un tempérament enflammé, faisait preuve de plus de patience que lui. Sans doute était-ce à cause de l’implication de Nataos ; il ne parvenait pas à rester rationnel vis-à-vis de son frère.

« Comment a-t-il osé ? Préparer cela sans prévenir personne…! Je suis certain que père n’avait pas approuvé les détails de son plan lorsque Renaeyle a fait ce fichu discours.

— Nataos devait avoir l’appui de votre mère.

— Comme toujours ! »

Enngyl haussa les épaules – encore une marque de son manque de distinction.

« Il a toujours été son favori.

— À croire que les rumeurs sur sa conception sont fondées. »

Sa cousine mit sa main sur le dossier de sa chaise afin d’y poser son menton.

« Tu en doutais encore ? »

Kawa se figea. La parenté de Nataos n’était mise en doute que par les mauvaises langues. Cela pouvait arriver qu’un nécromancien naisse dans une famille bénie par des pouvoirs de Ténèbres.

« Pas après tant de générations sans aucun autre pouvoir, fit remarquer Enngyl comme si elle lisait dans ses pensées. Même du côté de la reine, qui ne fait partie de la famille royale que par alliance, il n’y avait guère trace que de quelques mages de feu ou de terre. Pas de nécromanciens.

— Elle n’aurait jamais osé… Elle est trop digne pour cela ! »

Enngyl explosa de rire, renversant sa tête en arrière comme un simple soldat.

« La distinction, mon cher Kawa, n’est qu’un vernis derrière lequel on peut se permettre le pire. Je croyais que tu l’aurais su, avec la vie de cour que tu mènes. »

Le prince soupira, arrêtant enfin sa marche. Il lissa sa tunique de velours pour se donner contenance, détaillant distraitement les fils d’argent qui la décoraient.

« Donc, tu crois qu’il est mon demi-frère ?

— Je n’en sais rien. C’est possible. »

Cela ne l’avançait guère. La reine Sylve était trop retorse pour laisser la moindre trace d’un tel acte si elle l’avait bien commis. Il aurait dû s’en réjouir, car un tel scandale aurait terni l’honneur de leur famille s’il avait été prouvé, mais il ne parvenait qu’à le regretter. Après tout, cela l’aurait arrangé de prouver que Nataos n’avait pas le droit de prétendre au trône.

« Je vais partir », annonça alors Enngyl.

Kawa la regarda avec surprise.

« Pardon ? Mais je croyais que tu te plaisais à donner des cours à Arkim ?

— Il est adorable, mais il a su se créer son petit cercle d’amis. En plus de toi, bien entendu. Je lui ai inculqué les bases. Je ne pense pas qu’il ait encore besoin de moi.

— Mais… »

Elle se leva, le dos droit, la mâchoire carrée, et Kawa se souvint qu’il s’adressait à un général redouté de l’armée d’Hedyrn.

« J’ai besoin de retourner sur le terrain. Et puis, tu risques d’y avoir besoin de moi, étant donné ce que trame ton frère. »

Elle n’avait pas tort mais cela lui déplaisait. Il avait aimé avoir une alliée au palais. Il s’entendait bien avec Ceyn, mais ce n’était pas pareil ; le roi devait rester neutre et le père n’avait jamais été chaleureux.

« Sans doute, oui. »

Il soupira une nouvelle fois.

« Mais tout de même. Des améliorés. Il a bien travaillé sa démagogie.

— Cela a toujours été un de ses domaines d’excellence, contrairement à toi, gamin. »

Kawa réprima la brusque envie de lui tirer la langue, comme lorsqu’il avait cinq ans.

« J’espère avoir d’autres qualités. »

Enngyl lui sourit.

« Je ne te soutiendrais pas s’il en avait été autrement. »

Il s’inclina de façon alambiquée, comme un courtisan, ce qui la fit rire. Nemess, ce rire allait lui manquer ; trop peu de gens se permettaient un tel relâchement dans son entourage. Il aurait toujours Arkim… Ce gamin respirait la joie de vivre.

« Tu t’occuperas toi-même d’annoncer à ton élève que tu t’en vas, prévint Kawa. Je suis sûr qu’il te fera la terrible attaque du regard de chiot battu.

— J’en frémis d’avance. Très bien, je m’en chargerai. Je suis sûre qu’il comprendra. »

Kawa acquiesça, pensif. Le démon n’était pas à moitié aussi idiot que son comportement de gamin des rues laissait croire. L’espoir revint une nouvelle fois. Il n’avait pas commis d’erreur en lui permettant de rester au palais.

Peut-être devrait-il se rapprocher davantage de l’adolescent, à présent qu’il avait acquis un certain savoir-faire… de plus, il appréciait Arkim et voulait le connaître mieux.

Il tira sur une corde. Un domestique entra.

« Oui, Votre Altesse ?

— Faites mander Arkim, je vous prie. »

Le serviteur s’inclina sans le moindre commentaire. Enngyl grimaça.

« Tu veux que je le lui annonce tout de suite ? »

Kawa sourit.

« Tu as creusé ta propre tombe, couche-toi dedans. Et puis, je tiens à lui annoncer en même temps sa promotion. Il sera dorénavant mon page personnel. »

Enngyl écarquilla les yeux et le sourire du prince grandit. Cela ferait grincer des dents, il en avait conscience, mais il ne se trompait pas. Un jour, cette décision porterait ses fruits – celle-là et d’autres. Nataos n’était pas le seul capable de prendre les gens à revers.

 

***

 

Lucifer n’avait encore jamais vu Belzébuth dans cet état : il feignait la colère mais semblait surtout désemparé. Ils s’étaient repliés ensemble vers les profondeurs du palais, dans la pièce sans fenêtres qui servait de salle du trône les jours où l’archidémon se sentait d’humeur à impressionner les gens, au cœur de la montagne. Pas une bougie n’avait été allumée et les ténèbres régnaient, ce qu’il trouvait sans doute réconfortant.

Cela ne facilitait guère la tâche au Déchu. Il distinguait les meubles en noir et blanc malgré l’absence de lumière – avantage non négligeable que lui procuraient les pouvoirs acquis après sa Chute – mais les ombres s’agitaient au rythme de l’humeur tumultueuse de Belzébuth et il n’osait pas s’approcher.

Léviathan était parti. Il avait annoncé sa décision quelques heures auparavant et avait aussitôt quitté Pandémonium pour rejoindre sa bien-aimée. Quelque part, Lucifer trouvait cela mignon. Son côté ange, peut-être. Les démons avaient accepté sa décision, bien qu’avec une certaine stupeur – quoique ni Azazel ni Asmodée ne voyaient cette évolution d’un bon œil. Cependant, même si Belzébuth comprenait, il se sentait trahi.

L’ironie de la situation en devenait presque amusante.

« Il reviendra si tu en as besoin, dit le Déchu pour briser le silence. Tu sais qu’il reste à ton service.

— Il est parti et je respecterai sa décision, gronda le démon. Puisqu’il refuse de combattre…

— Uniquement contre les anges, pour ne pas froisser sa compagne. Elle-même ne combattra plus non plus. Cela compense.

— Ils vont la déchoir et trouveront quelqu’un pour la remplacer ! »

Lucifer secoua la tête. Il avait pensé pareil de prime abord, mais Uriel avait annoncé son mariage aux archanges depuis quelques heures déjà, le jugement devait s’être terminé. Pourtant, aucun changement dans l’Équilibre n’avait ébranlé les Trois Mondes.

« Je ne pense pas. Ils doivent craindre un désastre. »

Belzébuth se tourna vers lui, les ombres se mouvant à sa suite.

« Cela aurait suffi à les faire déroger aux lois ?

— Si le risque de détruire les Trois Mondes n’est pas suffisant, rien ne l’est ! » s’exclama le Déchu.

L’archidémon ne put qu’acquiescer. Le plus agaçant, du point de vue de Lucifer, c’était de ne rien avoir réalisé malgré des indices évidents. Ces dernières années, Léviathan avait arpenté les Abysses pour créer un réseau d’approvisionnement en eau auprès de chaque grande ville et, si possible, de chaque village un peu important. Il avait appris à ses démons à l’entretenir.

Il avait préparé son départ, sans qu’aucun d’eux ne le réalise.

Au moins Léviathan interviendrait-il en cas de crue ou de conflit avec les vampires – bien que ce dernier point soit peu probable pour l’instant. Il n’avait pas laissé tomber les siens, il s’était juste retiré de la guerre.

« Puis-je suggérer à Lilith de rester en contact avec lui ? demanda Lucifer. Après tout, il n’est pas banni, n’est-ce pas ?

— Nous ne sommes pas des anges, grommela Belzébuth. Ce n’est pas parce qu’il a pris une décision divergente que je vais lui tourner le dos. »

Les ténèbres s’apaisèrent à ces mots, au soulagement du Déchu qui put enfin approcher. L’archidémon restait sombre, mais ses épaules s’étaient détendues et il semblait à présent plus résigné que furieux. Toute trace du désespoir naissant qui l’avait étreint avait disparu, Sei merci.

Lucifer posa une main sur son bras.

« Ça va aller ? »

Belzébuth le fusilla du regard, comme pour dire qu’il saurait faire face à n’importe quoi. Le Déchu ne retira pas sa main et, après quelques instants, l’archidémon soupira.

« Je ferai avec. Comme tu l’as dit, il ne m’a pas trahi, il s’est juste éloigné. »

 

***

 

La maison était modeste mais dotée d’un étage, et ses murs faits de grosses pierres bien taillées. La porte de chêne ne grinçait pas sur son châssis. De petites fenêtres laissaient entrer la lumière et une terrasse s’étendait côté jardin, protégée par un petit toit de bois sur lequel courrait une vigne vigoureuse.

Uriel adorait. La ville la plus proche, guère plus qu’un gros hameau, se trouvait à une heure de marche. La maison était accessible par un chemin de terre débouchant sur une plus grosse rue pavée, assez spacieux pour rester praticable jusque tard dans l’hiver, à moins de chutes de neige précoces. En vol, cela ne lui prendrait que quelques minutes pour se rendre sur place mais elle appréciait déjà le charme de chevaucher à dos de wyverne.

Elle n’avait pas encore eu l’occasion de faire la maison sienne. Les meubles étaient fournis – tous taillés dans un bois solide et soigneusement poncés et cirés – ainsi que les menues affaires nécessaires à tout un chacun. La vaisselle était disparate mais pas ébréchée. La dame qui leur avait fait faire le tour du propriétaire, une elfe d’un certain âge dotée d’un charmant chignon de cheveux gris, leur avait assuré que tout était en état et qu’elle veillerait personnellement à remplacer ce qui ne le serait pas dans les premières semaines.

« Par la suite, vous pourrez acheter vous-même de quoi remplacer les objets moins gracieux, comme il sied à une Dame de votre classe. »

Uriel la remercia d’un sourire, trop émue pour articuler quoi que ce soit. Léviathan s’approcha d’elle pour lui saisir la main.

« Cela te plaît ? »

Elle hocha vivement la tête. Il sourit à son tour, tendre, et caressa sa main du pouce.

« Je pense qu’elle conviendra, Ma’, dit Léviathan, donnant à l’elfe le titre honorifique démoniaque réservé aux personnes d’un certain âge. Remerciez le prince Kawa de notre part ; nous n’en nous attendions pas tant lorsque nous avons demandé à nous établir sur les terres de Ceyn Hedyrn Teynan.

— Kawa Hedyrn Teynan est ravi d’accueillir des hôtes si prestigieux, déclara la vieille elfe. D’autant plus que vous avez exprimé le souhait de rester en retrait.

— Nous ne voulons surtout pas déranger », confirma Léviathan.

D’une part, ils ne voulaient pas effrayer les elfes qui formaient un peuple fort farouche. D’autre part, eux-mêmes aspiraient au calme.

« Merci encore, dit Uriel. Si nous pouvons faire quoi que ce soit pour montrer notre gratitude…

— Nous n’avons besoin de rien, ma Dame, ne vous inquiétez pas. »

La vieille elfe pinça les lèvres.

« Mais je suis certaine que les agriculteurs verraient d’un bon œil que la rivière reste fournie malgré le début de sécheresse. Les enfants aussi. »

L’archidémon et l’archange échangèrent un regard amusé, et acquiescèrent de concert. Finalement, peut-être pourraient-ils racheter une partie de leur dette. Cela serait merveilleux s’ils s’entendaient avec leurs voisins, même de façon tacite.

« N’hésitez pas à passer par moi si vous cherchez à acheter quoi que ce soit. Le marché a lieu tous les mardis sur la grand’ place. Personne ne prendrait ombrage de vous y voir. »

Le couple la remercia une nouvelle fois et attendit qu’elle s’éloigne sur le chemin, juchée sur sa vieille wyverne grise. Puis Uriel explosa de rire, ravie, et tourna sur elle-même, bras écartés, visage levé vers le ciel. Léviathan la regarda faire avec un sourire indulgent.

« Nous sommes chez nous, murmura l’archange en se serrant contre son époux. Je ne sais pas encore ce que ça va donner et oui, bien sûr, l’Eden et mes anges me manquent, mais… nous voici chez nous. Nous sommes ensemble. »

Il l’embrassa tendrement, sa façon à lui de dire « je t’aime ». Comme tous les démons – et tous les hommes, sans doute – il n’appréciait pas de prononcer ces mots à voix haute.

Uriel perçut une présence via son empathie, poliment annoncée d’une impulsion psychique. Cela ne pouvait être que Saraqael, l’archange du Soleil, et elle se crispa. L’étreinte de Léviathan se fit protectrice et tous deux se tournèrent vers le chemin. Une silhouette apparut petit à petit alors que l’illusion qui l’enveloppait se dissipait. Mais, à leur grande surprise, il s’agissait de Rémiel.

« Bonjour… » fit la femme en passant une main dans ses cheveux blonds, signe de nervosité.

Uriel ressentait son inquiétude et son envie de bien faire, aussi alla-t-elle à sa rencontre pour lui tendre les mains.

« Bienvenue chez nous. Viens, je vais te faire visiter.

— Je ne me permettrais pas, je… je t’amène un message du conseil. »

Uriel balaya l’argument d’un haussement d’épaules.

« Après. Tu es venue jusqu’ici, tu as bien un peu de temps devant toi ? »

Et la bénédiction de Saraqael, puisqu’il lui avait offert une illusion. L’archange du Vent se demanda un instant s’il était présent, lui aussi, puis chassa cette pensée. S’il ne voulait pas se montrer, tant pis pour lui.

Rémiel prit enfin ses mains en retour. Uriel l’entraîna dans le salon coquet, envoyant Léviathan faire bouillir de l’eau en cuisine pour détendre l’atmosphère. Après tout, la dernière fois que lui et l’archange du Métal s’étaient croisés, c’était en combat.

« Je suis contente que tu sois venue.

— Je n’aurais laissé cela à personne d’autre, répondit Rémiel. Même si cela avait été une vraiment mauvaise nouvelle. »

Voilà qui rendait Uriel curieuse. Sa presque-sœur ne pouvait être venue que pour lui annoncer la sentence issue de son jugement, sûrement la déchéance. Que signifiait cette phrase sibylline ? Un instant, elle fut prise d’un fol espoir mais aussitôt, elle se morigéna. Inutile de compter là-dessus.

« Tout le monde va bien en Haut ? demanda-t-elle plutôt.

— Hum, oui… même s’ils sont tous choqués à divers degrés. »

Cela, au moins, n’était pas une surprise. Elles devisèrent un moment, puis Léviathan revint avec le thé. Il s’assit aux côtés d’Uriel et celle-ci lui saisit la main, les joues un peu roses.

« Je ne t’ai pas encore présenté mon époux. Je sais que vous vous connaissez, mais… Rémiel, voici mon mari. Léviathan, ma presque-sœur.

— Je serais flatté qu’elle accepte ma compagnie. »

Rémiel remua sur son divan, sa tasse entre les mains. Uriel s’amusa de son malaise mais s’empressa de les entraîner pour faire le tour du propriétaire. L’archange du Métal s’extasia comme elle l’avait fait sur les broderies des rideaux et la douceur des couvertures de laine et de coton. Une heure s’évapora avant qu’elles ne se retrouvent à nouveau dans le salon. Léviathan eut un mouvement vers la cuisine, mais Rémiel le retint.

« Non. Bien que j’aie passé un moment agréable, il est temps pour moi d’annoncer la sentence, et elle va avoir besoin de toi. »

L’archidémon se rassit. Ses mains se nouèrent à celles de sa femme qui attendit. Enfin, Rémiel se lança :

« Uriel, archange du Vent, après un long débat le conseil des archanges a décidé de quel serait ton châtiment pour ta trahison envers l’Eden. »

Cela ne sonnait pas très sérieux après la visite, pourtant, Uriel sentit son cœur se serrer.

« Tu es condamnée au bannissement et ce, pour toute la durée de ta vie. »

Uriel attendit une suite qui ne vient pas. Quand cela fut manifeste, elle battit des cils.

« C’est tout ? »

Rémiel sourit.

« Oui. »

Uriel retint l’envie de lui sauter au cou et enlaça plutôt Léviathan. Elle avait les larmes aux yeux tant elle se sentait émue. Enfin, un avenir était possible, sans que la porte du passé soit refermée. Non seulement cela lui faisait plaisir, mais en plus cela créait un précédent qui, elle l’espérait, aiderait les lois de l’Eden à s’adoucir.

Enfin, le futur irradiait d’espoir et de chaleur.

 

***

 

Ysk flottait. Il ouvrit les yeux et constata qu’il était de retour dans la Vallée des Fils. Comme la fois précédente, il ne s’agissait pas d’un rêve – il était présent physiquement, même s’il ne pouvait sentir le vide autour de lui. Cependant, cela aurait être un rêve, parce qu’il s’était endormi dans le foin d’une grange isolée.

Sans argent et doté de cheveux rouges fort peu elfiques – à raison, dorénavant – il serait mal accueilli dans les auberges comme dans les fermes, et avait donc évité les gens. La crasse et une capuche n’avaient jamais suffi à en cacher la couleur et il préférait ne pas tenter Wir. La faim le taraudait sans qu’il accepte d’y céder. De toute façon, aucun bistrot ne lui offrirait la nourriture dont il avait besoin.

Il tourna sur lui-même. Il portait ses vêtements, cette fois. Il regarda et, par curiosité, il tendit l’index pour effleurer un fil. Aussitôt, celui-ci se dénoua et disparut.

Toute couleur disparut des joues d’Ysk. Qu’avait-il fait ? Venait-il de tuer quelqu’un par mégarde ? Un instinct au fond de lui murmurait que non, qu’il avait été guidé par la main de Wir et que le fil qu’il venait de trancher appartenait à un mort. Peut-être ne pourrait-il même pas couper ceux des vivants – il l’ignorait. Il espérait qu’Asmodée saurait le renseigner.

Et qu’elle lui expliquerait pourquoi, chaque nuit, il se réveillait dans la Vallée des Fils. Au matin, il se retrouvait là où il s’était endormi sans savoir si son corps s’était reposé, s’il avait dormi, rêvé… Éveillé, ses souvenirs de l’Au-Delà lui semblaient flous et sans consistance, peut-être parce que le temps avait une autre signification ici-Bas.

Avec un soupir, il erra dans le Cercle étrange, coupant çà et là un fil lorsqu’il en ressentait le besoin. Si Jen, son prédécesseur, ne lui avait donné aucune explication, peut-être était-ce parce que tout allait de soi.

Des heures ou des minutes passèrent. Ici, il n’avait ni faim ni froid. Cependant, il ne se sentait pas non plus vivant. Il avait l’impression d’être le rouage d’une immense machine invisible.

Ysk cria, mais ne sut pas si un son sortait de sa bouche. Dans ce vide éternel, qui pourrait l’entendre ?

Il avait besoin de voir quelqu’un !

« Je suis là. Que se passe-t-il encore ? »

Ysk tressaillit et se tourna vers la voix. Celle-ci venait d’un jeune homme – non, d’une femme musclée – aux courts cheveux bruns et aux yeux étranges. Un masque cachait le bas de son visage. En le voyant, elle parut stupéfaite.

« Qui es-tu ? »

Le garçon remarqua les tatouages qui couraient sur les bras de la femme et la queue souple qui lui battait les jambes. Bien sûr !

« Vous êtes Son Altesse Asmodée ? demanda-t-il en s’inclinant. Je m’appelle Ysk, et je suis le nouveau vampire de la Mort. »

Difficile de deviner ses pensées avec ce masque, mais elle mit un certain temps à formuler sa réponse.

« Jen a donc réussi. Il est mort. »

C’était presque une question ; Ysk acquiesça. Elle se propulsa pour tourner autour de lui deux ou trois fois. Les épaules du garçon se crispèrent lorsqu’elle passa dans son dos. Elle n’était pas menaçante, mais elle ne se montrait pas non plus amicale – plutôt… méfiante. Étrange ; habituellement les gens se contentaient de le mépriser. À son âge, personne ne le considérait comme une menace.

« Où Sei Jen t’a-t-il trouvé ? » lâcha-t-elle après avoir fini son observation, flottant à nouveau devant lui.

Bien qu’il s’agisse d’une question rhétorique, Ysk ressentait le besoin de meubler le silence oppressant de la Vallée. En temps normal, il se taisait volontiers, mais le monde extérieur regorgeait d’une infinité de petits bruits ici inexistants.

« Je viens d’Altayn, dans le royaume d’Hedyrn. »

Elle ne réagit pas.

« Chez les elfes.

— Ah. »

Son ton froid lui fit baisser les yeux. Peut-être la rencontrer était une mauvaise idée, pour finir.

« J’ai des questions à vous poser, tenta-t-il. Si vous voulez bien m’accorder un peu de temps…

— Pas maintenant. »

Elle le toisa encore de haut en bas.

« Où te trouves-tu?

— Je suis encore dans le royaume d’Hedyrn. »

Elle renifla.

« Mais je suis en route pour Pandémonium ! »

Enfin, elle hocha la tête, lui accordant un semblant d’approbation.

« Viens me voir quand tu seras arrivé. »

Et, sans un mot de plus, elle disparut.

 

***

 

Suite à l’annonce de Renaeyle, une grande fête s’était organisée spontanément – bien qu’Arkim ait quelques suspicions quant à l’identité de celui qui avait prévenu les cuisines d’anticiper un festin. En effet, en plus de la joie qui courait les rues, où troubadours et saltimbanques s’installaient pour profiter de l’aubaine, une véritable réception s’organisait au palais.

Kawa s’étouffait à moitié de rage de voir Nataos et ses suivants mis en avant, mais il devait faire bonne figure et Arkim l’avait aidé à se parer de ses plus beaux atours. Son aîné, quant à lui, s’efforçait de paraître modeste. En tendant l’oreille, Arkim l’entendit mettre en avant le rôle crucial de Renaeyle et de Nama, ainsi que celui des futures Améliorés. Il insistait sur le fait que le crédit devait leur être donné à eux, que lui-même s’était contenté de rendre cette situation politiquement possible.

Cela n’empêchait pas une foule de nobles encore plus importante que d’habitude de se presser autour de lui, les courtisans faisant des ronds de jambe et les femmes battant des cils. Arkim vit Nataos donner satisfaction aux premiers par des flatteries, aux secondes par des danses, puis les renvoyer vers les deux érudits. Nama semblait mal à l’aise de voir tant de gens lui poser des questions ; Renaeyle, quant à elle, était ravie que ses recherches soient reconnues.

« Je vais partir, murmura Kawa entre ses dents. Je n’en peux plus.

— Je peux rester ? » demanda le jeune démon après un instant d’hésitation.

Le prince le dévisagea, surpris, avant qu’un léger sourire vienne éclairer son visage à l’expression si sombre.

« Bien sûr. Ce n’est pas parce que mon frère est la vedette de la soirée que tu ne dois pas t’amuser. »

Arkim fut soulagé par sa déclaration ; il craignait de le décevoir par son enthousiasme. Si Kawa n’y voyait qu’une envie de profiter des festivités, tant mieux.

Le prince héritier présenta ses salutations à ses parents puis, plus froidement, à son frère. Le jeune démon, laissé seul, se cala entre table et le mur, accroupi, pour ne pas être dérangé. Il ne pouvait pas participer aux danses mais avait une bonne vue sur les robes aux couleurs chatoyantes qui tournoyaient sur la piste. En restant hors des pieds des nobles comme des serviteurs, il pourrait s’y cacher un certain temps avant d’être délogé.

Les femmes avaient une façon de minauder qui fit venir le rouge aux joues d’Arkim. La mode était aux robes de soie, souvent décorées de dragons stylisés, qui laissaient libres les épaules et le cou. Heureusement, Nama maîtrisait sa Soif.

L’abyssite coulait à flot, ainsi que des liqueurs elfiques plus douces et quelques-uns des mélanges très forts importés des Cercles démoniaques les plus Bas. Après une heure, puis deux, les danses se firent plus lascives et les conversations moins consistantes, alors que la traditionnelle neutralité elfique fondait sous l’effet de l’alcool. Arkim n’en but pas, bien sûr, mais la journée avait été riche en évènements et il piqua du nez sans s’en rendre compte.

Il fut réveillé d’un coup quand deux paires de bottes s’arrêtèrent près de lui. Dans son demi-sommeil, il avait roulé sous la table. La fenêtre se trouvait à quelques pas, séparée du reste de la pièce par un rideau, et un couple s’y glissait discrètement. Un couple dont les deux partis étaient dotés de pantalons, au grand choc du garçon.

Curieux malgré lui et songeant que des secrets importants seraient peut-être échangés, il s’aplatit au sol pour voir par-dessous la nappe. Ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’il réalisa que les deux hommes se tenaient trop proches pour juste discuter – et que l’un d’eux était Nataos.

Arkim eut beau tendre l’oreille, il n’entendit pas ce que le prince murmurait à son jeune compagnon. Il vit cependant que ses mains étaient posées sur les hanches de l’autre elfe, et ses lèvres bien trop près de son oreille. Oh, si le rideau s’écartait, ils pourraient se séparer en un instant sans avoir l’air coupable, mais…

Les lèvres de Nataos se rapprochèrent encore, puis se posèrent rapidement au coin de la mâchoire du courtisan qu’il tenait de façon si indécente.

« Allons continuer cette conversation dans mes quartiers, dit-il de manière presque factuelle, alors que son regard racontait une autre histoire. Je trouve vos idées des plus intéressantes et souhaiterais en savoir plus.

— Avec grand plaisir, répondit l’autre, qui le dévorait des yeux.

— Il est encore tôt. Sortez d’ici une heure et retrouvez-moi chez moi ? »

Le courtisan hocha la tête et suivit Nataos du regard avec avidité quand celui-ci se détacha de lui pour aller rejoindre la piste de danse, et les femmes qui l’attendaient. Il prit le temps de défroisser ses vêtements et de reprendre son souffle avant de sortir lui aussi à la vue de tous, laissant Arkim totalement choqué.

Deux hommes qui se tenaient comme ça ! Mais c’était indécent, c’était contre-nature, c’était… impensable. En plus, Nataos aimait les femmes, Arkim ne le savait que trop bien – il ne pourrait plus jamais entrer dans les appartements du prince sans rougir. Comment pouvait-il aussi être attiré par les hommes ? Certains démons agissaient ainsi, mais ils n’étaient pas civilisés, ils n’étaient pas des princes elfes !

Et pourtant, Nataos avait agi avec tant de naturel que c’en devenait fascinant. Le courtisan, dont le démon ignorait le nom, n’avait pas semblé contraint, au contraire ; il le vit regarder l’heure, anticipant la fin de la soirée.

La fête oubliée, Arkim les espionna. Nataos n’adressa pas le moindre regard à son compagnon. Il dansa avec les femmes qui l’entouraient, les faisant rougir et rire, séduisant comme à son habitude.

Cependant, quand le courtisan s’éclipsa à l’heure dite, il n’attendit pas longtemps pour l’imiter – laissant le jeune démon choqué, la tête pleine de questions qui lui venaient pour la première fois.

 

***

 

Les hautes cimes entourant Alanths, vallée aux dragons, se découpaient gracieusement dans le ciel nocturne. La face brillante d’Elvion allongeait les ombres sur les hautes parois, presque horizontales et criblées de trous et de crevasses qui menaient à des grottes plus profondes qu’il n’y paraissait.

Une silhouette se tenait adossée contre un rocher, tout en bas de la falaise abrupte, et observait les lieux en silence. Après quelques minutes elle s’avança et Elvion illumina ses courtes mèches noires et sa peau blanche sans réussir à donner leur éclat aux yeux grenat. Les épaules restaient étroites et les traits du visage fins, la mâchoire peu accentuée, mais aucune poitrine ne venait plus distendre le tissu de sa tunique.

Le corps qui avait été celui d’Anijia avait cessé d’être féminin et peu de gens seraient capables de reconnaître ses traits modifiés. La joue était lisse, le système pileux peu développé, et l’horrible cicatrice qui défigurait jadis son visage s’était à moitié effacée. Les lèvres arboraient un sourire suffisant.

« Je vais vous détruire, murmura Saâgh d’une voix trop aiguë pour être tout à fait masculine. Vous payerez ce que vous M’avez fait subir. »

Les montagnes ne tremblèrent pas en retour et le vent ne détourna pas Sa route. Des oiseaux pépiaient à quelques pas. Personne ne réalisait la menace qui planait. Saâgh sourit. Il n’était pas Frryl. Sa façon de procéder était bien plus insidieuse que celle du Feu.

Il avait pris Son temps pour venir, afin de savourer Sa vengeance future et d’en sentir le besoin Le brûler de l’intérieur. Il en avait profité pour Se faire une idée de la situation globale, notamment au niveau des incessants combats de Lyth et Sei – qu’Ils souffrent mille morts – et, parallèlement, Il avait perfectionné ce corps qu’Il avait fait Sien afin qu’il corresponde mieux à Ses envies.

Il vérifia une dernière fois que ses membres fonctionnaient, s’étirant paresseusement en observant la ville de ses ennemis. Il demeurait androgyne bien qu’Il ait effacé les distinctions féminines du corps qu’Il avait volé. Son visage mince ressemblait à celui d’un adolescent, trompeur.

Il releva les yeux vers Alanths. À cette heure de la nuit, peu de dragons allaient et venaient ; seules quelques rares patrouilles sillonnaient le ciel de temps à autre. Après tout, peu de gens savaient où les trouver…

Un rictus mauvais déforma Ses lèvres. Il allait détruire les dragons de l’intérieur. Il les ferait s’entretuer, même si semer le poison en leur sein goutte à goutte devait lui prendre des années. Il corromprait l’esprit de leurs anciens, leur faisant renier le principe même d’Équilibre qu’ils avaient défendu jusque-là.

Il n’aurait aucun mal à S’introduire dans leur cité. Adulte, doté de tous Ses pouvoirs ou presque – Il ne pouvait déployer l’entièreté de Son aura au risque de détruire les Trois Mondes –, Il ne craignait rien de Ses anciens tortionnaires. Eux, par contre, allaient bientôt regretter ce qu’ils Lui avaient fait.

Après tout, Il n’était pas appelé le Maudit pour rien.

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