Chroniques d'un cycle : Les Enfants de Saâgh

Chapitre 15

« Je M’incarne souvent, pour atteindre un but ou pour M’amuser. Je suis le Sang, la Chair ; l’immatérialité Me convient mal. De toute façon, observer Nos créatures ne Me suffit pas. »

 

– Les Dits de Saâgh, auteur inconnu –

 

Arkim avait envie de s’arracher les cheveux. Non, il voulait plutôt attraper ce fichu vampire par le cou pour arracher les siens ! Le jeune démon retint un soupir et se colla un peu plus au mur. Caché derrière un rideau comme un enfant, il attendait que Nama sorte enfin de sa fichue tour pour pouvoir entrer au dernier niveau.

L’érudit avait une réunion avec Nataos et deux membres du Haut Conclave dans quelques minutes, et Renaeyle, qui vivait également dans la tour, supervisait pour l’instant une équipe d’Améliorés, comme d’habitude. Elle veillait sur leurs protégés pendant que Nama travaillait sur la partie plus théorique de leur projet.

Arkim avait essayé de lui parler. Vraiment. Mais ce type se montrait aussi aimable qu’un pic à glace et avait à peu près autant de politesse. Impossible de lui tirer un sourire, ou autre chose que des « oui » et des « non » ou autres grognements monosyllabiques. Alors s’insinuer assez dans ses bonnes grâces pour lui extorquer des informations ? Mieux valait prier Nemess. De plus, Kawa avait raison : la subtilité n’était pas son fort.

Voilà comment il se retrouvait caché de façon aussi ridicule, à attendre qu’il s’en aille. Il avait confiance en les capacités acquises dans la rue pour lui ouvrir les portes closes. Les serrures du palais étaient mal protégées, parce que ceux qui y vivaient étaient considérés comme personnes de confiance – une idée stupide, de son point de vue. Quand Kawa monterait sur le trône, il n’hésiterait pas à le détromper.

Des pas résonnèrent dans les escaliers en colimaçon et le jeune démon retint son souffle. Il risquait gros s’il se faisait remarquer – et son prince ne pourrait pas le protéger à moins de se mettre lui-même en danger, ce qu’Arkim refusait. Il entendit Nama passer devant lui et put suivre sa torche des yeux au travers du velours. Le bruit décrut alors que le vampire descendait les marches, puis un grincement indiqua qu’il ouvrait puis refermait la porte d’entrée derrière lui.

Arkim se remit à respirer. Il compta mentalement jusqu’à cent au cas où le vampire reviendrait chercher des documents oubliés, puis se glissa hors de sa cachette et grimpa les escaliers. Comme prévu, le verrou ne lui posa pas de problème et la seule difficulté fut de ne laisser aucune trace. Lorsqu’il entra enfin dans la pièce principale, il ferma les rideaux et fouilla les lieux, rapide et efficace. Les documents qu’il cherchait étaient confidentiels mais avec un peu de chance, il tomberait sur des notes manuscrites qui, sans pouvoir servir de preuves, suffiraient à les informer.

Il crut que la chance lui souriait lorsqu’il mit la main sur une pile de carnets rangés par ordre chronologique… mais déchanta dès qu’il ouvrit le premier.

« Qu’est-ce que c’est que cette langue ! » jura-t-il à voix basse.

Il n’avait pas songé que le vampire puisse écrire dans sa langue d’origine plutôt qu’en elfique. Idiot ! C’était pourtant logique… D’un autre côté, il menait ses recherches en collaboration avec Renaeyle. Comment faisait-elle pour en suivre l’évolution ?

Arkim réfléchit tout en feuilletant les cahiers. Avec un peu de chance… Il prit le dernier de la pile et l’ouvrit en son milieu. Soulagement : cette fois, il s’agissait bel et bien d’elfique. Les premières notes devaient dater d’avant l’arrivée de Nama à Altayn.

Il retourna en arrière pour trouver le début de leurs recherches et passa de longues minutes à essayer de déchiffrer les symboles étranges dont le papier était couvert. Alors qu’il pensait que sa tête allait éclater, il trouva une annotation en milieu de page : cf. t1 p119. Une référence ? Étrange, puisqu’ils étaient supposés être les premiers à travailler sur ce sujet.

Le démon rangea le cahier inutile à sa place et abandonna le laboratoire pour retourner dans la salle de séjour. La bibliothèque prenait une grande partie de l’espace et Arkim soupira en voyant le nombre de livres. Comment allait-il trouver celui dont parlait Nama dans ses notes ?

Il fouilla la pièce des yeux à la recherche d’indice, comme si une illumination pouvait lui tomber sur la tête ou, plutôt, au coin de l’œil. En silence, il se dirigea vers la chambre du vampire, puis sourit. Une pile disparate de grimoires était disposée sur une table qui lui servait vraisemblablement de bureau, au vu du nombre de bougies usées et de taches d’encre.

Arkim les feuilleta un par un en prenant soin de ne pas en mélanger l’ordre. Certains étaient écrits avec les bizarres symboles skahil, un ou deux en elfiques, mais les autres en Antique, à sa grande surprise. Les démons n’étaient pas exactement connus pour leurs grandes avancées dans la recherche scientifique. D’un autre côté, beaucoup de races pratiquaient cette langue utilisée partout pour le commerce.

Enfin, il trouva ce qui l’intéressait. Pas de doute à avoir : la page indiquée dans la référence parlait de la façon de manipuler des gens, appelés dans le texte des Combattants d’élite. Malgré les runes et autres jargons magiques, Arkim en comprenait assez pour pâlir au fur et à mesure de sa lecture. L’Antique n’était pas sa langue maternelle et il espérait se tromper dans sa traduction. Le livre conseillait la nécromancie pour manipuler ces Combattants, tablant sur le fait que leur corps était « mort au même titre que celui des ska, qui n’est animé que par la volonté de Saâgh ».

C’était horrible ! Alors, ceux qui ne considéraient pas les drows comme des elfes avaient raison ! Arkim espérait que Catlyna n’apprendrait jamais cette abomination, elle qui luttait tant pour se faire accepter dans la rigide société elfique.

Les cursives en pattes de mouches rendaient sa lecture d’autant plus difficile mais son regain d’intérêt le poussa à persévérer. Il ignora les tableaux cabalistiques – sans doute des morceaux de la formule d’Amélioration – et se concentra sur le texte, qui continuait un peu plus loin : « il ne serait dès lors pas plus difficile de les manipuler par nécromancie que s’il s’agissait de ska, qui sont des marionnettes pour les Enfants de Shyin. Seule une protection par les runes d’Elvion ou d’Essiah les protègerait ». Suivait une longue explication sur comment procéder.

Un gong sonna au dehors, faisant sursauter Arkim. Ce son annonçait la fin de la soirée et le début de la nuit – les commerces allaient fermer et tout le monde rentrerait chez soi. Il était resté trop longtemps et il risquait de croiser Renaeyle s’il s’attardait. De toute façon, il avait trouvé l’information qu’il cherchait.

Il remit les livres en place et fit un rapide tour des lieux. Les voyant en ordre, il éteignit la bougie, rouvrit les rideaux, et se faufila à l’extérieur. La porte fut facile à refermer à présent qu’il avait compris le fonctionnement de la serrure et il put redescendre les escaliers sans souci.

Une fois dehors, il ne se détendit pas – ce qu’il venait d’apprendre était terrible ! Il avait hâte de rapporter cela à Kawa… d’autant plus qu’il doutait que l’Empreinte empêche les nécromanciens de manipuler Cat et les autres. Connaissant Nataos, il s’était plutôt arrangé pour que lui seul puisse prendre contrôle de ses soldats.

Il traversa les jardins en adoptant le pas lent du flâneur, pour éviter d’attirer l’attention. Les gens avaient l’habitude de le voir courir dans tous les sens lorsqu’il devait porter des messages pour Kawa mais pas à pareille heure et il n’avait aucune envie de devoir justifier sa présence. Il était bien assez préoccupé par ses découvertes. Que Catlyna ne soit plus tout à fait une elfe…

Il atteignit le bâtiment principal du palais et avança sans se perdre dans le dédale des couloirs. Soucieux, il ne réalisa qu’au dernier instant que quelqu’un arrivait en sens inverse ; il dut faire un pas de côté pour éviter Nataos.

« Mes excuses, Votre Altesse ! Je ne vous avais pas vu. »

Le prince haussa les sourcils, narquois.

« Voilà qui ne devrait pas me surprendre. Tu semblais plongé dans tes pensées… Cela devait te demander trop de concentration pour que tu puisses prêter attention à ton environnement. »

Arkim le fusilla du regard. Cette façon que Nataos avait de toujours se moquer l’exaspérait au plus haut point.

« Je ne me permettrais pas de me considérer comme étant au même niveau que vous, Monseigneur », rétorqua-t-il avec une courbette gracieuse.

À sa grande surprise, au lieu de s’énerver, Nataos se mit à rire.

« Aurais-tu enfin gagné un peu de répondant, enfant ? »

Il le détailla du regard, comme il le faisait souvent ces derniers temps.

« Quoique pour ta race, tu es presque adulte. Tu pousses en tenant tes promesses. »

Arkim rougit, et ses joues le brûlèrent encore plus quand il s’en rendit compte. Il chercha une réplique mais, avant qu’il puisse répondre quoi que ce soit, Nataos s’était avancé, réduisant la distance entre eux à quelques malheureux centimètres. Le démon retint son souffle ; la main gantée du prince vint caresser sa joue, alors que son sourire s’élargissait.

« Si prude… quelle ironie, pour un démon !

— Je n’ai pas été élevé comme eux, marmonna Arkim entre ses dents.

— C’est bien vrai. Tu en deviendrais presque civilisé. »

Son visage se trouvait tout près, beaucoup trop près. Le jeune démon eut un infime mouvement de recul et, aussitôt, le prince s’éloigna de quelques pas en riant.

« N’espère pas trop, gamin. »

Sur cette phrase sibylline, il continua sa route, laissant Arkim déboussolé. Il se reprit néanmoins comme il put et se remit à marcher pour enfin livrer à son maître les terribles informations qu’il venait de récolter.

 

***

 

Ariel ferma sèchement les volets pour garder l’air glacé à l’extérieur. Il détestait la neige et, dans les Abysses, celle-ci tombait chaque année dès la mi-automne. Même sans se trouver dans les Tréfonds, elle était bien plus dangereuse qu’en Haut où elle se contentait d’être jolie. Cependant, en ville, elle ne se faisait mortelle qu’à condition de dormir dehors.

Il la détestait. Pour ne pas la voir, il dédaignait les rayons d’Essiah, de toute manière livides à cette époque de l’année. L’hiver lui rappelait sa Chute, ressurgissant tous les ans quand il croyait avoir oublié. Son dernier souvenir de l’Eden restait tapissé d’un manteau blanc d’où son frère le fixait.

Il frissonna. Peut-être devrait-il Monter de quelques Cercles jusqu’au printemps, rejoindre Lilith à Gomorrhe pour profiter de ses vergers et du soleil un peu plus présent là-Haut. Pandémonium était devenue bien plus tolérable depuis qu’Azazel avait été exilée sur les terres d’Asmodée, surtout que, vexée, elle n’en était pas revenue quand Belzébuth l’y avait autorisée. À la place, elle s’enfermait dans sa forteresse de Ghulia pour bouder. Très mature.

Mais ça n’arrangeait rien au temps, au froid, et à son humeur. Gomorrhe, donc ? Ou alors…

« Van, que dirais-tu de rendre visite à Léviathan ? demanda-t-il en se tournant vers le démon, qui consultait un livre un peu plus loin dans la bibliothèque. Il vit chez les elfes, n’est-ce pas ? »

Van leva les yeux en fronçant les sourcils, dérangé dans sa lecture.

« Quoi, tout de suite ?

— J’ai une terrible envie de prendre l’air. »

Le démon renifla en refermant son livre.

« Et cela n’a rien à voir avec le fait que Bélial vient de revenir à Pandémonium.

— Parfaitement.

— Bien, pourquoi pas… Mais tu es sûr de vouloir y aller ? Il y aura Urièh. »

Ariel lui fit comprendre d’un regard qu’elle était la raison de sa visite. Van n’insista pas, se contentant de ranger le livre à sa place sur l’étagère.

« Pour une fois que tu veux bouger, je t’accompagne, bien sûr. Ton manteau est prêt ? »

Le jeune déchu le récompensa d’un sourire éblouissant et se précipita dehors.

« Je vais prévenir Lucifer de notre départ ! »

Oui, mieux valait en parler avec le Déchu plutôt que d’oser mentionner le nom de Léviathan devant Belzébuth… sauf que lorsqu’Ariel arriva dans le jardin où il percevait l’aura de Glace et de Ténèbres de Lucifer, l’archidémon se trouvait en sa compagnie.

« Eh bien, angelot ? Veux-tu te plaindre avec nous des aléas de la vie ? » plaisanta Belzébuth en lui proposant un verre d’abyssite.

Le jeune homme déclina.

« Non, je viens vous prévenir que Van et moi nous absentons pour la journée, peut-être un peu plus. Mais je suis surpris de te trouver l’âme d’un poète.

— N’espère pas trop, ricana Lucifer. Il se plaint juste de la présence de ce gamin qui colle Asmodée. »

Il désigna du geste le muret qui entourait le jardin, à quelques mètres de là. L’archidémone s’y était assise comme pour observer la ville au-dehors et, dos à elle, se trouvait installé un jeune elfe aux surprenants cheveux rouges. Ariel l’avait déjà croisé quelques fois.

« Pourquoi Asmodée ? demanda-t-il à voix haute. Je ne connais personne de moins accessible.

— Il est nécromancien et, qui sait, peut-être a-t-elle un instinct maternel au final, commenta Lucifer.

— Je t’entends très bien, ange », dit Asmodée de loin sans élever la voix.

Le Déchu sourit, peu impressionné. Ariel trouvait fascinante la façon dont Lucifer était parvenu à un compromis avec tous les archidémons. Même Azazel, qui le détestait et le considérait comme une dangereuse faiblesse de Belzébuth, avait trouvé un rythme dans les insultes qu’elle lui lançait. Ariel espérait arriver un jour au même résultat.

« Ne vous en faites pas, mes anges, déclara une voix venant du ciel. Si ça se trouve, notre Asmodée a juste fini par se reproduire. »

Lucifer et Ariel foudroyèrent Bélial du regard en un bel ensemble alors que celui-ci se posait à leurs côtés. L’archidémon de la Lune s’inclina devant Belzébuth puis leur fit à chacun un baisemain digne d’un courtisan, qui laissa Lucifer de glace et tira à Ariel un sourire crispé.

Bélial eut juste le temps de se redresser ; la cible de leur conversation vint se planter devant lui.

« Puis-je humblement vous demander de cesser de vous comporter avec la maturité d’un enfant de deux ans ? »

L’archidémon de la Lune haussa les sourcils, vexé.

« Pourquoi, je suis trop proche de la vérité, gamin ? »

L’adolescent se redressa de toute sa hauteur et, alors qu’il levait le menton, son aura de Mort se déploya en un claquement, les faisant bondir en arrière – sauf Belzébuth qui les observait d’un air blasé. Cependant, même son intérêt s’éveilla lorsqu’ils eurent le loisir de sonder sa puissance, égale à celle d’Asmodée.

Cette dernière s’approchait d’ailleurs d’un pas faussement nonchalant, et posa une main sur l’épaule de son protégé.

« Du calme. »

L’adolescent hocha la tête sans quitter Bélial des yeux puis, après quelques instants, fit disparaître son aura.

« Mon nom est Ysk », déclara-t-il d’un ton égal, comme s’il ne venait pas de menacer l’une des personnes les plus puissantes des Trois Mondes.

Bélial le regarda avec un respect nouveau, quoique toujours blessé dans sa fierté.

« Je ne risque pas de l’oublier.

— Bien. »

Ysk hocha la tête vers Belzébuth, Lucifer et Ariel puis emboîta le pas à Asmodée qui s’éloignait. Il ressemblait à nouveau à un adolescent normal lorsqu’il accéléra le pas pour ne pas se faire distancer par la démarche souple de l’archidémone.

Belzébuth se leva et ébouriffa les cheveux blonds de Bélial.

« Fais attention quand tu te moques de quelqu’un, petit. Ariel, je suppose que tu pars tout de suite ? »

Le jeune déchu tressaillit ; il avait presque oublié qu’il se mettait en route. Il salua tout le monde avant de filer vers ses appartements. Lorsqu’il rejoignit Van dans la cour intérieure du palais, manteau à la main, le démon leur avait déjà choisi une monture. Le sourire de Van suffit presque à lui remonter le moral.

« Si tu veux voler avec ce vent glacial, je t’en prie, mais personnellement je préfère rester à terre, même à dos de wyverne. »

Ariel monta derrière lui sur la selle et attacha sa cape pour éviter qu’elle ne s’emmêle.

« Tu as raison, répondit-il. Ce sera assez pénible de forcer ce pauvre animal à passer dans l’Entre-monde…

— Il y a un relais plus ou moins au niveau des royaumes elfiques dans ce Cercle. Nous pouvons y laisser la wyverne et Monter sans elle.

— Ce ne serait pas une mauvaise idée », approuva le jeune déchu.

Ils se mirent en route sans plus tarder, sortant de Pandémonium pour avancer dans la campagne aride des Abysses. Le dandinement de leur monture les berçait au rythme de ses pas. Elle était à peine plus rapide qu’un démon mais bien plus endurante. Ils ne s’arrêtèrent pas pour se restaurer, préférant manger en selle malgré leurs courbatures : même eux évitaient de s’attarder hors des villes, n’importe quelle monstruosité pouvait surgir.

Ils n’arrivèrent au relais qu’en milieu d’après-midi. Avides de marche après cette promenade douloureuse à dos de wyverne, ils y laissèrent leur monture et s’envolèrent dans l’Entre-monde, Ariel portant péniblement le démon aux ailes déchirées, pour Monter jusqu’au Cercle où résidait l’archidémon de l’Eau. Une fois arrivés, ils n’eurent pas à chercher longtemps avant de trouver le village en bordure duquel il s’était installé. Essiah se couchait lorsqu’ils atteignirent leur destination.

« Eh bien, tu toques ? » lui lança Van.

Le déchu se mordilla la lèvre, puis leva la main. Il n’eut pas le temps d’achever son mouvement : la porte s’ouvrit avant qu’il ne touche le bois.

« Ariel ? »

Le garçon se figea en voyant Uriel face à lui. À présent qu’il se trouvait devant elle, il ne savait pas du tout quoi dire. Il était heureux de la revoir, bien sûr, mais aussi triste que ce soit dans ces circonstances ; il espérait qu’elle l’accepterait, même s’il était déchu ; et, surtout, il se sentait mal. Il l’avait trahie en cédant à Bélial autant qu’il avait trahi Gabriel. Bien qu’il considère ce dernier comme son frère, tous les archanges étaient des membres de sa famille.

La jeune femme sourit et, sans hésiter, le serra dans ses bras.

« Moi aussi je suis contente de te revoir. »

Ariel se força à retenir les larmes qui commençaient à poindre. Il se serra contre sa presque-sœur sans un mot, prenant le temps de se remettre de ce choc émotionnel qu’il avait mal anticipé.

« Vous êtes… ? demanda-t-elle par-dessus son épaule.

— Van, Votre Altesse. Prince-démon du Chaos.

— Un ami proche », précisa Ariel, qui recommençait à savoir respirer normalement.

Uriel acquiesça et les fit entrer.

« Il est tard. Nous allons manger ensemble, puis Léviathan vous installera un lit dans le salon. Pas question que je te laisse repartir avant demain ! »

Ariel sourit timidement, puis rougit de façon explosive en réalisant qu’elle sous-entendait qu’ils dormiraient ensemble. Il s’assit avec les autres autour de la table et, pour la première fois peut-être depuis sa Chute, il se sentit chez lui.

 

***

 

« Je suis désolé, mais c’est non. »

Arkim poussa un gros soupir devant le regard inflexible de Kawa. Celui-ci développa :

« Il vaut mieux que tu restes ici, surtout maintenant que les dragons ne se montrent plus. Certains prétendent même qu’ils ont des troubles internes, ce qui est ridicule. »

Le démon contourna le lit de son prince pour venir l’aider à retirer sa tunique ; la dernière mode voulait que celle-ci se lace à l’arrière.

« Es-tu sûr de toi ? insista-t-il tout en se battant avec les nœuds. Tu devras envoyer un émissaire à Pandémonium un jour. »

Kawa leva les bras pour qu’il puisse desserrer les lacets sans trop de mal, mais secoua la tête.

« Même si je devais envoyer quelqu’un, ce ne serait pas toi, Arkim. Malgré tout le respect que je te porte, tu ne pourrais servir d’ambassadeur pour le royaume. Mon père ne le permettrait pas.

— Ambassadeur est un grand mot. Ne m’envoie pas comme diplomate mais comme messager ; je porterai des présents informels à Belzébuth de ta part, plutôt que de celle du royaume. »

Le vêtement céda enfin sous ses efforts, et Kawa se tourna vers le jeune démon, un sourire amusé aux lèvres.

« Tu ne dormais donc pas lorsque ma cousine te faisait la leçon. »

Arkim haussa les épaules. Cependant, s’il espéra brièvement voir le prince changer d’avis, cela ne dura pas.

« Je suis désolé, reprit Kawa. Je préfère te garder à mes côtés pour le moment. »

Le démon soupira encore sans plus insister. Quand son seigneur cessait de justifier ses décisions, cela signifiait que le temps de l’argumentation était terminé et sa décision irrévocable. Son rôle au palais n’était pas essentiel, Arkim le savait, mais Kawa avait peu de serviteurs dévoués en qui il pouvait avoir confiance.

Ou alors, Kawa avait peur qu’il se trouve trop bien parmi les siens et ne revienne pas ? Absurde. Il ne se sentirait jamais à l’aise parmi les démons. Le royaume d’Hedyrn était sa patrie.

Tranquillisé, il fit une courbette taquine.

« Tu n’as pas besoin de moi pour le pantalon, je pense ? »

Kawa se permit une grimace.

« Fiche le camp, chenapan.

— Je ne suis plus un enfant ! s’outra Arkim.

— Vraiment ? Je n’avais pas remarqué… »

Le démon lui fit un clin d’œil puis le salua plus formellement avant de sortir. Cependant, à deux couloirs de là, le bien-être ressenti en présence de son seigneur disparut. Il s’éloignait des appartements de Kawa mais, se trouvant toujours dans l’aile réservée à la famille royale, il risquait de croiser la reine ou pire, Nataos.

Il lança une prière à Nemess juste avant de passer devant la porte du prince – mais, apparemment, ses efforts n’avaient pas été assez fervents. La porte était ouverte et, de là où il se tenait, il entendait rire une femme.

Il s’arrêta, hésitant à pousser plus loin. Un grand détour serait nécessaire s’il voulait rentrer à sa chambre sans passer par là, mais peut-être cela vaudrait-il la peine…

Une fille sortit de la chambre, les joues encore roses et la robe froissée. Elle baissa les yeux en voyant Arkim, embarrassée, et fila en vitesse vers l’aile des domestiques. Avec une grimace, il se décida à reprendre son chemin, mais Nataos suivait sa compagne d’un soir – il avait dû renvoyer ses domestiques pour avoir un peu d’intimité et venait donc fermer lui-même sa porte.

« Bonsoir, Votre Altesse », le salua le démon.

Inutile d’essayer de passer sans se faire remarquer ; le couloir était trop étroit pour qu’il puisse prétendre ne pas l’avoir vu et le prince semblait n’avoir aucune pudeur. Le voilà d’ailleurs qui souriait, amusé de sa gêne.

« Je ne pensais pas voir un démon aussi embarrassé. Ne sais-tu donc pas que ton clan descend d’Astaroth, connu pour être un excellent amant ? Certains le surnomment l’archidémon de la luxure.

— Il préfère sûrement qu’on l’appelle le Prédateur. »

La réplique fut un peu gâchée par la rougeur de ses joues. Nataos ne s’était rhabillé qu’à moitié, comptant sans doute se retirer pour dormir dès qu’il aurait fermé sa porte. Arkim se dit qu’il passerait au temple le lendemain – il devait vraiment avoir offensé Nemess. Quelques minutes plus tôt ou plus tard et ils ne se seraient pas croisés.

« Kawa n’a décidément aucune chance. Il a su te choisir avec goût et ne peut même pas en profiter. »

Arkim se figea. Nataos n’osait tout de même pas sous-entendre…? Au vu du sourire narquois qui lui barrait les lèvres, si.

« Je suis son messager, articula-t-il d’un ton calme.

— L’un n’empêche pas l’autre et les tiens sont connus pour leurs mœurs dépravés. À moins que tu n’aies aucun intérêt pour les hommes ?

— Avec tout le respect que je vous dois, celui de nous deux à être connu pour sa dépravation, ce n’est pas moi ! » explosa Arkim.

Nataos rit et avança vers lui. Le démon faillit reculer mais préféra plutôt lever le menton, fusillant le prince du regard puisque, visiblement, celui-ci jouait selon ses propres règles une fois la nuit tombée. N’avait-il pas peur de croiser quelqu’un ? Les serviteurs n’oseraient pas intervenir et la Reine fermerait sans doute les yeux, mais le Roi… était encore en réunion, réalisa Arkim.

Il perdit toute son assurance quand Nataos posa l’index sur sa joue, traçant le contour de sa mâchoire du bout du doigt.

« Dommage, susurra-t-il. Si tu avais été à mon service, je t’assure que j’aurais trouvé comment te convertir. »

Le démon déglutit et fit un pas en arrière – ce qui permit à l’autre d’avancer. Il voulut reculer encore, mais sentit le mur contre son dos et écarquilla les yeux en réalisant qu’il était acculé. En le voyant faire, Nataos rit à voix basse.

« Je ne vais pas te manger. Tu es le démon de sang, après tout. »

Le prince tira sur le col de sa chemise à moitié déboutonnée. Là, dans le creux de son cou, une veine pulsait de façon délicieuse, et Arkim se rappela du goût du sang chaud coulant dans sa gorge, de cette sensation inégalable de fusion, de bien-être, d’absolu…

Il inspira une grosse goulée d’air pour faire passer le terrible besoin de sang qui venait de le prendre. Non, il n’avait pas faim – il avait besoin de mordre, ce qui était pire. Il n’avait jamais ressenti cela, même quand il avait bu Lanek ; cette fois-là avait été une expérience nécessaire, pas une envie dévorante comme maintenant.

Il s’aplatit un peu plus contre le mur. Nataos avait retiré son doigt et se tenait à quelques centimètres de lui, trop loin pour le toucher, mais trop près malgré tout, beaucoup trop près. Il le regardait en souriant et, encore une fois, Arkim eut envie de faire disparaître sa suffisance à coup de poings. S’il le mordait, le prince perdrait de sa superbe, il le savait ; il se souvenait comment Lanek avait réagi. L’expérience était aussi intense pour la personne mordue que pour le buveur de sang.

Alors qu’il hésitait à s’exécuter, Nataos recula de deux pas, sortant de son espace vital. Son expression d’assurance absolue était toujours en place mais, étrangement, l’agressivité du démon s’évanouit, remplacée par une impression étrange de…

Avant qu’il ne réussisse à définir ce qu’il ressentait au juste, Kawa arriva dans le couloir, vêtu de ses robes de chambre.

« Que se passe-t-il ici ? »

Arkim réalisa alors que son aura était déployée, bien que pas de façon agressive, ainsi que celle de Nataos. La magie de Mort avait toujours eu tendance à l’effrayer – tout le monde avait instinctivement envie de s’éloigner des nécromanciens quand ceux-ci l’utilisaient, trop conscients de leur faiblesse face aux pouvoirs de Shyin – mais, cette fois, elle n’avait fait qu’ajouter à son excitation.

L’aîné des deux frères haussa les épaules en contractant son aura.

« Nous ne faisions que discuter ; pas de quoi te déplacer dans cette tenue. »

Kawa fronça les sourcils. Arkim rougit – après tout, Nataos était habillé de façon assez explicite et lui-même encore collé au mur dans une position trop défensive pour être honnête. Il fit quelques pas de côté, se raclant la gorge pour reprendre contenance.

« Oui, non, tout va bien… marmonna-t-il.

— Je n’en suis pas aussi sûr, dit froidement Kawa en fixant son frère.

— Pourquoi, tu es jaloux ? s’amusa Nataos en passant son bras autour de la taille d’Arkim, le faisant glapir. Je ne pensais pas être aussi proche de la vérité quand je disais qu’il était tien. »

Kawa agrippa le démon par le col pour le tirer derrière lui, l’arrachant à l’étreinte de Nataos. Arkim battit des cils, surpris, et le fut plus encore en voyant à quel point les épaules de Kawa étaient crispées.

« Touche à un seul cheveu d’Arkim et je trouverai un moyen de te le faire payer. »

Le ton sur lequel il parlait suffisait à donner corps à sa menace. Néanmoins, Nataos ne fit qu’en rire.

« Tu devrais travailler tes menaces, ce n’est pas très impressionnant. »

Kawa se tendit davantage, prêt à exploser. Choqué par leur comportement, Arkim chercha une sortie des yeux, comme si scruter le couloir pouvait lui donner une idée sur comment désamorcer la situation. Les relations entre les deux frères avaient toujours été crispées, mais c’était la première fois qu’il en voyait une manifestation aussi directe – et c’était sa faute. Il finit par poser sa main sur l’épaule de Kawa.

« Laisse tomber, ça n’en vaut pas la peine. »

Le prince resta immobile quelques instants, avant d’enfin hocher la tête et de se laisser entraîner par Arkim vers ses appartements. Le démon rendit grâce aux Éléments en arrivant là sans avoir croisé personne – et maudit Nemess en silence. Si tel était le sort qu’Il réservait à Ses fidèles, mieux valait ne pas imaginer ce qu’Il faisait subir à Ses ennemis.

 

***

 

Le ciel n’était qu’une nuée de corps allant dans tous les sens, à tous les niveaux, certains rasant le sol, d’autres indiscernables dans la poussière. Celle-ci était soulevée par les battements de centaines d’ailes, faisant tousser les quelques-uns qui se trouvaient au sol – et, lors de tels affrontements, il ne s’agissait guère que des blessés et des guérisseurs : ils faisaient des cibles faciles pour les combattants. Tomber, c’était mourir – sauf si un ami courageux vous traînait à l’abri.

Ariel avait les vêtements maculés de sang et d’autres fluides corporels, et des croûtes sombres lui noircissaient les ongles. Peu lui importait ; cela ne faisait que renforcer ses pouvoirs de saâghan. Il ignorait les explosions et les cris qui retentissaient au-dessus de lui, profitant de ses dons d’illusion pour se déplacer sans être vu d’en haut. Cependant, si cela lui épargnait d’être pris comme cible, cela n’empêchait pas les pavés de voler autour de lui ni les corps de tomber du ciel. Il avait déjà une épaule démise et, bien qu’il l’ait remise en place, une douleur lancinante persistait. S’il forçait trop, il risquait de la démettre de nouveau – mais les démons avaient besoin de lui.

Un corps s’écrasa près de lui ; d’un geste, il ordonna à un autre saâghim de le ramasser.

« Mais c’est un ange ! »

Ariel ne prit pas la peine de lui répondre, trop occupé à traîner un démon bien plus grand que lui. Le saâghim pesta pour la forme mais obéit. Ils arrivèrent en même temps à couvert.

« Charge-toi du démon », décida le jeune déchu.

L’autre s’exécuta, cette fois sans protester, et Ariel se dépêcha de soigner l’aile de l’ange qui avait un angle étrange. Il ne fit rien pour la blessure à la tête, cependant ; si l’ange se réveillait, il risquait de se mettre à les attaquer, même s’ils se trouvaient dans un hôpital. Après réflexion, il demanda à un de ses aides de l’attacher. Les démons faisaient rarement des prisonniers, mais ceux-ci étaient toujours bien traités. La plupart finissaient par fuir, par se suicider ou par tomber – selon leur degré de volonté et leur foi en Lyth. Après quelques années passées en Bas, Ariel avait réalisé que ceux qui décidaient d’eux-mêmes de rester devenaient les plus fidèles serviteurs des Abysses.

Un bruit sourd résonna dans les étages et une pluie de gravats tomba du plafond. Quelqu’un avait dû s’écraser sur le toit, à moins qu’un globe magique se soit perdu. Tant qu’il ne s’agissait pas de pouvoirs de Feu, ils n’avaient pas à s’en préoccuper ; les anges attaquaient, mais ils ne s’en prenaient qu’aux autres combattants et n’entraient jamais dans les bâtiments. Cette guerre était vraiment bizarre.

Le déchu jeta un coup d’œil par la fenêtre et ne put s’empêcher de grimacer. Au premier regard, impossible de dire qui gagnait ; le nuage d’êtres volants était bien trop grand. Cependant, il lui suffisait de se concentrer pour percevoir l’aura des six archanges… et nombre d’entre eux faiblissaient.

D’un coup, il cessa de sentir la présence de Rémiel et, juste après, la magie de Gabriel explosa. Quelques instants plus tard les anges battirent en retraite – elle avait sans doute été blessée. Ariel ne comprenait pas pourquoi ils avaient attaqué malgré leur nombre inférieur. Voulaient-ils prouver quelque chose ? Ou ressouder les liens de l’Eden via la guerre ? Tant de morts pour rien…

« Ils commencent à se poser ! lança Van depuis l’entrée. Venez, tous ! »

Beaucoup de saâghim quittèrent leur poste pour se précipiter à la rencontre de ceux qui avaient pu continuer de voler malgré leurs blessures. Ceux-là avaient plus de chance de survivre que ceux qui s’étaient écrasés durant le combat.

Ariel les laissa y aller sans lui, préférant se concentrer sur les cas plus compliqués. De toute façon, ils lui amèneraient ceux qu’ils ne savaient pas traiter faute de puissance.

Lorsqu’il en eut terminé avec son patient, il réalisa que Van n’était pas sorti.

« Eh bien ? »

Le démon haussa les épaules.

« Les anges sont repartis en pièces, cette fois. Ils n’auraient pas dû venir.

— Ils avaient leurs raisons. Connaissant mon frère, il serait venu même s’il était le dernier archange.

— C’est idiot !

— Il considère que c’est son devoir et serait heureux d’y sacrifier sa vie. Mais il changera peut-être d’avis un jour. J’espère. »

Après tout, il ne l’avait pas tué. Sur le coup, Ariel avait été trop choqué pour réaliser – son frère l’avait jugé coupable et banni de l’Eden, difficile de se réjouir parce qu’il ne l’avait pas tué en même temps. Et pourtant, pour Gabriel, cela avait dû être une décision difficile.

« Je suppose, répondit Van, mais dans combien de siècles ? »

Ariel ne savait pas lui répondre. Mieux valait ne pas y songer.

« Tu es blessé ? lui demanda-t-il plutôt. Tu as combattu ? »

Van secoua la tête.

« J’ai aidé les autres à transporter les blessés. Ils sont bien assez de sept pour faire face à six archanges – et puis je n’aime pas me battre. Il faut suffisamment le faire pour survivre, sans en plus se mettre à massacrer les gens… et avec mon aura, ce serait une boucherie.

— À notre niveau… Même moi, qui suis spécialisé dans la guérison et l’illusion, je peux écraser n’importe quel seigneur. »

Van rit, et passa derrière lui pour lui ébouriffer les cheveux.

« Seulement si tu ne le laisses pas approcher, angelot. »

Ariel lui tira la langue et se détourna pour se remettre au travail. Il entendit les pas de Van qui s’éloignaient – il allait aider les autres dehors. Puis une autre démarche résonna sur le carrelage, lui faisant relever les yeux. Une femme blonde le toisait de haut – du moins, d’aussi haut que ses talons lui permettaient car elle était plus petite encore que lui.

« En quoi puis-je t’aider, Lilith ? »

L’archidémone regarda autour d’elle, les lèvres pincées.

« Puis-je te parler en privé ?

— Ce n’est pas exactement le moment…

— Je ne te volerai que cinq minutes. »

Ariel hésita. Les autres faisaient entrer les blessés les plus graves. De loin, il fit signe à Shania qui hocha la tête ; pour l’instant ils sauraient se débrouiller sans lui, et elle l’appellerait en cas de besoin.

« Très bien, suis-moi. »

Il entraîna Lilith dans une pièce adjacente qui servait de pharmacie mais qui avait été vidée de ses fioles au début de l’attaque – ils en avaient trop besoin à côté pour faire des allers-retours.

« Je t’écoute ? »

Elle chercha du regard où s’asseoir et, ne trouvant rien, s’adossa contre le mur. De près, le prince démon pouvait voir qu’elle était épuisée bien qu’elle ne porte aucune trace de coup ; ses pouvoirs psychiques lui faisaient mener contre Saraqael des combats aussi éprouvants que s’ils avaient été physiques.

« Je vais avoir besoin de ton aide dans les prochains mois, déclara-t-elle. Je suis enceinte. »

Ariel la dévisagea avec des yeux ronds. D’accord, il était guérisseur et il avait étudié auprès de Gabriel ; oui, il avait aidé à des accouchements et n’était pas mauvais en la matière… mais Lilith avait été mère une centaine de fois. Pourquoi par Lyth aurait-elle besoin de son aide ?

Son expression dut parler pour lui, parce qu’elle s’adoucit, laissant même échapper un rire.

« Cette fois, ce n’est pas Astaroth le père. Je suis un peu plus inquiète parce que cela pourrait être plus difficile et, même si je sais quelles potions prendre et comment me comporter, je préfèrerais qu’un saâghin surveille que tout se passe bien.

— Oh. Bien. Oui, bien sûr, je t’aiderai. »

Il ne voyait pas trop ce que le changement de père pouvait provoquer comme différence notable, mais soit.

« Astaroth le prend-il bien ? »

Lilith lui pinça la joue, maternelle.

« Astaroth et moi n’avons jamais été un couple. Même si partager son lit est très agréable, comme tu dois t’en douter. »

Les joues d’Ariel s’empourprèrent à ces mots, bien sûr. Impossible de perdre cette mauvaise habitude.

« Mais tout de même, vous avez eu tant d’enfants ensemble…

— Il comprend très bien. Tu sais comment il est. »

Le jeune déchu acquiesça, souriant. Astaroth comprenait toujours et s’énervait rarement – il avait cet instinct qui lui faisait presque lire dans les pensées des gens et saisir leurs motivations. Oh, ce n’était pas comme Saraqael qui devinait grâce à la logique, non ; il savait.

« Et puis, de toute façon, il ne m’était pas fidèle. Pas que moi je n’aie pas été voir ailleurs », ajouta-t-elle.

Ariel se racla la gorge.

« Veux-tu que je vérifie que le combat n’a rien causé de malheureux ? »

Lilith hocha la tête presque timidement et Ariel utilisa son aura pour sonder son ventre. L’enfant se portait bien, mais quelque chose clochait. Il était pourtant bien vivant et ne semblait ni blessé ni secoué, mais…

Ariel écarquilla les yeux.

« Lilith, tu sais qui est le père, je suppose ? »

Elle rougit – elle ! – et hocha la tête. Le déchu se sentit obligé d’insister.

« Et, bien sûr, tu sais qu’il s’agit d’un vampire ? »

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