Chroniques d'un cycle : Les Orphelins

Chapitre 19

« Un arrêté peut être annulé ou abrogé par un autre arrêté émanant du même archange. »

 

– Introduction au droit angélique, chapitre 1 : la hiérarchie des normes –

 

Nama ne savait pas comment il en était arrivé là. La Maison Ezrjl était en crise depuis son retour, mais il avait passé les premiers jours enfermés dans son laboratoire à faire semblant de travailler. Si les autres savaient qu’il relisait les notes de Renaeyle en pleurant, ils l’auraient enseveli sous leur mépris, aussi s’était-il isolé autant que possible et n’avait-il eu vent que récemment des dernières nouvelles.

Ils avaient perdu une de leurs villes, tombée aux mains des drows.

Nama n’avait jamais imaginé que cette partie de son passé, qu’il avait espéré laisser derrière lui dans les royaumes elfiques, le rattraperait à Ambrosis. Au départ, il avait tremblé pour sa vie ; son père était emprisonné dans l’attente que les vampires les plus haut placés dans la hiérarchie décident de quoi faire de lui, et il portait lui-même une partie de la responsabilité de ce désastre.

Lorsqu’ils vinrent le chercher ce matin-là, il crut l’heure de son jugement arrivée, et cela se confirma lorsqu’il se retrouva face à un groupe de sept ska portant la capuche des Ramasseurs – sauf qu’aucun Ramasseur ne se promenait avec des vêtements brodés d’or, ni même brodés tout court. Puis, l’un d’eux parla :

« Nama Ezrjl, fils de Skady Ezrjl ?

— En personne.

— Que savez-vous au sujet de l’héritier de votre père ? »

La question fit à Nama l’effet d’un coup de poing dans le ventre, et il lui fallut quelques instants pour récupérer son souffle.

« J’ignorais qu’il en avait désigné un. »

Il y eut quelques murmures.

« Est-ce que le nom d’Ysk vous est familier ? »

Ce sale gamin ! faillit-il hurler. Il ne se retint que de justesse et prit son expression la plus neutre.

« C’est l’un des enfants qui ont subi mes expériences. Celle-ci n’était pas tout à fait concluante, mais il a été transformé en vampire.

— Est-il l’Infant de Skady ? »

La voix qui avait posé cette question était féminine et plutôt stridente, comme si elle voulait aller droit au but. Considérant le nombre d’heures qu’ils avaient dû passer à discuter entre eux avant d’avouer leur ignorance, Nama comprenait son impatience.

« Pas exactement. Mon père… »

Il devrait peut-être cesse de parler de lui avec ce titre. Cela le rapprochait trop du condamné à son goût.

« … Skady ne l’a pas mordu. J’ai juste utilisé son sang pour effectuer une transformation… artificielle, si l’on peut dire. »

Autres chuchotements.

« Seul son sang a été utilisé ?

— Je n’ai pas utilisé d’autre sang que le sien, si tel est le sens de votre question. Cependant, je dois mentionner qu’il y a eu une intervention extérieure lors de l’expérience. »

Un instant de silence. Ils se tenaient tous assis face à lui, alignés à une même table, et la lumière partait de leur dos vers Nama donc il aurait été incapable de discerner leurs traits même sans les capuches. Au moins avaient-ils eu la décence de lui offrir une chaise.

« Nous vous écoutons ? Si vous savez nous donner plus de détails, bien sûr. »

Était-il paranoïaque ou venaient-ils de sous-entendre qu’il était idiot ?

« Le sujet, c’est-à-dire, Ysk, qui ne portait pas encore ce nom à l’époque…

— Quel était-il ? s’écria aussitôt une voix.

— Il n’en avait pas. La plupart des gens l’appelaient Gamin. »

Nama fit une pause pour leur laisser la possibilité d’intervenir, puis reprit.

« Le sujet, donc, allait mourir. L’expérience était un échec… mais le jhliska de la Mort est intervenu. Il se cherchait un héritier. »

Lui aussi. Et il avait porté son dévolu sur ce gosse. Nama ne comprenait pas ce qu’ils lui trouvaient tous.

« Vous êtes certain qu’il s’agissait d’un jhliska ?

— Les ailes qui ont poussé dans le dos de Gamin étaient un indice non négligeable. »

Il n’avait pas su retenir le sarcasme mais ceux qui lui faisaient face étaient trop perturbés par son annonce pour lui en tenir rigueur. Les murmures reprirent, puis disparurent d’un coup ; il supposa qu’une rune de silence avait été activée. Il resta assis sans rien dire, très raide, dans l’attente de leur verdict. À vrai dire, il était surpris de leurs questions ; aucune n’avait à voir avec les drows. Pourtant, impossible qu’ils ignorent son implication dans leur création… il venait pratiquement de l’avouer devant eux.

« Très bien. »

Nama sursauta. Vu ses révélations, il ne s’attendait pas à ce qu’ils parviennent si vite à un jugement.

« Qu’il soit jhliska ne fait qu’augmenter la pertinence de notre précédente décision, lorsque nous avons appris que le traître Skady avait désigné comme héritier un ska externe à notre Maison. Cet Ysk n’est pas apte à clamer son titre. D’ailleurs, il ne s’est pas présenté. »

Nama évita de signaler qu’Ysk ne savait sans doute pas qu’il était héritier, ignorant comme il l’était des traditions d’Ambrosis, et que cela devait follement amuser Skady. Il ne souligna pas non plus qu’ils avaient tous suivi ce dernier lors de ses décisions et que le qualifier de traître a posteriori était le comble de l’hypocrisie – comportement banal pour des vampires.

Cependant, il mit un moment à comprendre pourquoi au juste le fait qu’Ysk soit jhliska était un problème – jusqu’à réaliser que cela le rendait plus puissant qu’eux tous et, surtout, menait à une dangereuse accumulation de titres. Ils ne voulaient pas se retrouver encore à gérer un engouement tel que celui que Skady avait soulevé ; son charisme, doublé de son titre de jhliska de Saâgh, l’avaient rendu impossible à contrôler car il avait une force politique trop grande pour être contrebalancée. Il l’avait d’ailleurs prouvé en se posant comme héritier de Nysâh. Ses subalternes les plus haut placés n’avaient pas apprécié d’être privés de tout pouvoir décisionnel et n’étaient pas impatients de répéter l’expérience.

Ils lui firent signe de se lever, et Nama s’exécuta. Son expression restait figée mais, à présent, plutôt que d’avoir peur, il était perplexe. Ils ne semblaient pas vouloir l’accuser et il avait répondu à leurs questions, alors pourquoi le faisaient-ils rester ?

Il eut sa réponse quand l’une des voix lui déclara :

« Nous avons une proposition à vous faire. »

Restait à savoir ce qu’ils lui voulaient.

« En tant que fils de Skady Ezrjl et membre éminent de notre communauté scientifique… accepteriez-vous de reprendre le titre de Doyen ? »

Nama en resta bouche bée. Doyen ? Lui ? Sans l’approbation de Skady ?

« Comprenez notre position, reprit un autre. Skady n’est plus en état de prendre des décisions. Il a d’ailleurs désigné son héritier après avoir été fait prisonnier par les elfes, en sachant qu’il serait jugé comme traître, et n’a donc pas pris en compte les besoins de notre Maison. Nous nous voyons donc forcés de déroger à notre tradition et de désigner nous-mêmes le prochain Doyen. Comme vous n’en avez pas eu la formation, nous nous permettrons de vous guider de nos conseils.

— Vous avez le droit de refuser, continua la femme. Nous nous verrions cependant alors dans l’obligation d’examiner votre cas de plus près. Il nous semble que vos choix n’ont pas été des plus éclairés ces derniers temps. »

Nama réalisa à quoi il faisait face. S’il refusait, il serait exécuté en leur procurant juste l’embarras de chercher un autre Doyen. S’il acceptait, il leur servirait de pantin, forcé de suivre les politiques qu’ils lui imposeraient sous peine de voir ses erreurs exposées aux autres membres de la Maison Ezrjl. Étant donné son ascendance, il risquait de se voir accusé de folie – après tout, cela pouvait être héréditaire, n’est-ce pas ? – et mis de côté de la même façon que son père.

Ces soi-disant conseillers avaient préparé un coup d’état. Le prochain héritier de la Maison Ezrjl ne serait pas désigné par le Doyen, mais de nouveau par un groupe de personnes triées sur le volet qui décideraient de qui serait assez influençable pour suivre leurs ordres.

Nama n’avait guère qu’un seul choix possible. Il redressa la tête, les fusillant du regard malgré la lumière aveuglante, et raidit son dos.

« J’accepte. »

 

***

 

Ysk fit aller son doigt dans le sable de l’Au-Delà, tournant, tournant jusqu’à ce que celui-ci devienne fluide comme de l’eau. Ailes déployées, il ne fut pas entraîné sous la surface par son poids, et put s’y mirer comme s’il s’agissait d’une mare où aucun vent ne causait de remous. Comme tout le reste dans le monde des morts, il s’agissait d’une projection de son esprit, mais celle-ci avait une conséquence particulière : celle d’ouvrir une fenêtre vers les Trois Mondes des vivants, lui permettant d’observer ce qui s’y passait.

La situation s’était rééquilibrée à Ambrosis. Enceinte, Nysâh avait retrouvé le pouvoir qui lui revenait en tant que Reine Rouge. Ysk la vit déclarer à la Ronde que le système de transmission du pouvoir qu’elle avait choisi pour éviter toute rupture resterait celle de la désignation, où le Roi Rouge nommait son successeur à l’avance sans que celui-ci ait besoin d’être de son sang. Cela permettrait d’éviter qu’une absence totale de fertilité cause la fin de la dynastie des Rois d’Ambrosis. Elle leur assura cependant que son fils – ou sa fille – à venir serait le prochain Prince Noir.

Skady devait adorer l’ironie de voir le titre qu’il s’était inventé repris par Nysâh. Si, du moins, il en avait entendu parler.

Ysk agita la main pour mélanger le sable, qui redevint solide. Il s’y posa puis, soupirant, marcha vers la Vallée des Fils, son domaine. L’un d’eux s’était mis à vibrer, signe certain qu’il devait bientôt céder, et cette fois il avait décidé de se charger en personne de détacher l’âme du corps en le coupant.

Il effleura le fil du bout des doigts. Quelque part, ce serait douloureux. Cela marquerait la fin d’une époque, pour lui. Raison pour laquelle il devait s’en occuper lui-même.

Ses lèvres pâles se serrèrent. La vibration s’était faite plus forte – la personne qui y était attachée souffrait. Ysk ferma les yeux et tira d’un coup sec. Il y eut une note aiguë, puis tous les fils se trouvant autour de celui-là se détachèrent avec lui – et ce fut fini.

« Adieu, Skady », murmura Ysk, avant de se détourner.

Il y aurait d’autres fils à couper.

 

***

 

Kawa consultait une liste, penché sur son bureau : celle des jeunes nobles à marier. Il détestait l’idée d’épouser une femme qu’il connaissait à peine mais Hedyrn avait connu assez de troubles pour qu’il comprenne la nécessité d’avoir un héritier aussi vite que possible, aussi avait-il cédé sous la pression de ses conseillers. Enngyl, en particulier, avait poussé pour qu’il se trouve une fiancée, arguant que les rumeurs qui couraient sur le compte de Nataos lui faisaient du tort.

Kawa ignorait s’il s’agissait de celles qui prétendaient que Nataos ne s’était pas intéressé qu’aux femmes ou celles qui assuraient qu’il avait épousé Tessandr et en avait fait la reine de Morteterre, un royaume où les drows et les nécromanciens pouvaient vivre en paix. Du moins, quand les vampires n’essayaient pas de les en déloger.

Il doutait aussi qu’Enngyl soit tout à fait honnête en disant s’inquiéter seulement des rumeurs. Elle n’avait jamais abordé le sujet d’Arkim, mais avait souligné que certains nobles se demandaient pourquoi un démon restait à la cour – après tout, Belzébuth et les siens s’étaient montrés déplaisants lors de leur intervention – et lui avait rappelé qu’il avait été jugé pour trahison et exilé.

« Je l’adore, moi aussi, avait-elle dit, mais je ne suis pas sûre que sa présence permanente à Altayn soit judicieuse. »

Kawa aurait préféré qu’elle accepte Arkim. Il ne pourrait jamais être plus proche du démon, de toute façon ; il connaissait ses devoirs. Cependant, sa présence lui mettait du baume au cœur. Il avait besoin de quelqu’un qui savait lui parler franchement comme le soutenir en silence. Enngyl fondait sa propre famille avec Jhael, et avec elle ce n’était pas pareil. Elle était sa cousine. Alors qu’Arkim…

Mais, à présent, le problème ne durerait plus. Il avait eu beau faire de son mieux, les préjugés contre les nécromanciens et les drows avaient augmenté au point de rendre leur vie intolérable, même pour ceux qui n’avaient pas participé à la guerre. Le départ de Cat n’était qu’une question de temps, Kawa le savait – et Arkim ne la laisserait pas partir seule.

Quelqu’un toqua à sa porte.

« Entrez. »

Il aurait le temps de parcourir cette fichue liste plus tard. Il releva les yeux pour voir Arkim rentrer, le visage sombre. Déjà ? ne put-il s’empêcher de penser. Il avait espéré avoir encore quelques jours, voire quelques semaines…

« Kawa…

— Tu pars. »

Ce n’était pas une question, mais Arkim y répondit malgré tout en acquiesçant. Kawa ferma les yeux, serrant très fort ses paupières comme si cela allait faire disparaître le démon et sa tenue de voyage.

« Je vais à Pandémonium, jamais je n’irais à Morteterre, j’espère que tu le sais !

— Bien sûr, s’entendit répondre le roi. Tu accompagnes Ysk et Cat ?

— Oui.

— Alors je te souhaite bon voyage. Sache que tu seras bien accueilli à chacune de tes visites, que j’espère nombreuses. »

Il avait parlé de son ton le plus formel mais, au dernier mot, sa voix se brisa. Arkim releva les yeux vers lui, ces yeux aux cils trop longs et aux iris d’une impossible couleur mauve qui n’existait pas chez les elfes.

« Au final, tu ne choisiras donc ni lui, ni moi. »

Kawa réalisa trop tard avoir parlé à voix haute.

« Tu es injuste ! s’écria Arkim. Je n’ai jamais penché vers lui, jamais ! Je t’ai toujours soutenu. »

Le roi se mordit la langue. Arkim croyait-il qu’il n’avait pas remarqué la fascination que Nataos exerçait sur lui ? Il l’avait charmé comme tout le monde. Mais le démon n’avait pas tort, il se montrait injuste, car malgré cette attirance jamais il n’avait fait de faux pas. Il s’était toujours montré loyal.

« Excuse-moi, je ne voulais pas dire ça. Je réitère mon invitation. »

Arkim hésita.

« Je ne sais pas si je reviendrai. Ce n’est pas ma place, ici. Je passais encore quand j’étais un enfant, un adolescent, mais à présent… je vois la façon dont les gens me considèrent, et certains se sont mis à murmurer, se demandant comment j’ai fait pour gagner tes faveurs. »

Kawa se leva et contourna son bureau.

« Qui t’a dit ça ? Je vais lui faire avaler ses paroles avec…

— Quelqu’un. Peu importe. Tu sais comment sont les rumeurs : intangibles. »

Quand Arkim était-il devenu si mature ? Qu’avait-on fait à son beau et jeune démon, toujours plein de vie et d’optimisme ? Kawa scruta ses yeux et y trouva le même pétillement qu’auparavant. Alors pourquoi tant de paroles sombres ?

Sans doute parce que l’époque s’y prêtait.

« Je ne veux pas que tu partes, murmura le roi. Pas pour ne jamais revenir. S’il te plaît, dis-moi que tu me rendras visite. Tu n’es même pas obligé de venir souvent. Tu es un de mes amis les plus proches…

— Et puis, quoi ? lui demanda doucement Arkim. Quand tu auras pris femme et que je viendrai, qu’en pensera-t-elle si on lui dit que j’ai été ton amant ? Même si c’est faux, elle en sera blessée.

— Tout cela est hypothétique ! Si ça se trouve, tout se passera bien. »

Le démon ferma les yeux, puis les rouvrit, et Kawa réalisa qu’ils étaient lourds de larmes.

« Est-ce que tu veux vraiment nous imposer ça à tous les deux ? »

Le roi ne sut quoi répondre. L’idée de ne jamais le revoir l’insupportait – et lui ne pouvait pas partir. Il avait un titre, des responsabilités, il devait prendre soin de ses sujets et rebâtir Altayn. Il n’avait pas le droit de fuir – pas après avoir chassé Nataos. Le moment où il aurait eu une chance de donner sa couronne à un autre avait passé.

« Je suis désolé, dit le démon.

— Pas autant que moi. »

Kawa tendit une main vers lui, lui effleura la joue du bout des doigts. Enngyl avait raison d’être inquiète. Combien de temps aurait-il tenu avant de…

Arkim recula.

« Adieu, Kawa. Que Nemess te garde. »

Et le démon sortit, laissant le roi d’Hedyrn seul derrière lui.

 

***

 

Gabriel marchait dans les rues d’une ville humaine, surpris à chaque pas de voir à quel point celles-ci ressemblaient aux cités angéliques ou démoniaques. Ces créatures, pourtant dépourvues de magie, étaient capables de miracles de créativité pour parvenir à leurs fins. Elles assimilaient les techniques que les anges de son clan leur apprenaient et les adaptaient à leurs propres besoins de façon fascinante. Peut-être qu’un jour ce seraient eux qui apprendraient des humains, plutôt que l’inverse.

L’archange eut un soupir satisfait. Cela faisait un moment qu’il reportait cette vérification des résultats de ses anges dans l’Univers, à cause des troubles en Eden, mais ceux-ci s’étaient tassés depuis leur victoire contre Krro. Les pacifistes avaient été satisfaits de la trêve, qui durait, et ceux qui reprochaient aux archanges leur dictature s’étaient soudain rappelés pourquoi ils avaient besoin d’eux.

Cependant, certaines structures allaient devoir changer ; Michaël ne voulait pas que la situation se reproduise, et parlait d’instaurer une institution où les anges pourraient faire part de leurs doléances au conseil des archanges, et une autre qui donnerait son avis sur les différentes règles. Gabriel n’était pas certain d’aimer cela, mais tant que les lois de Lyth étaient respectées, il préférait ne pas freiner le changement. Sans doute l’Eden en avait-il besoin.

Il aperçut tout à coup une tête brune qui dépassait des passants, juste à côté d’une tête rousse. Raphaël et Raguel avaient dû profiter comme lui de l’accalmie pour venir voir leurs anges. Il s’approcha d’eux, content de les croiser, quand il réalisa que Raguel discutait avec un jeune homme aux cheveux noirs doté d’une aura de feu… mais qui n’était pas un ange.

Gabriel le sonda et la réalité le frappa de plein fouet : un déchu. Raguel discutait avec un déchu de son clan, comme si c’était normal et naturel. Une trêve avait été prononcée, mais tout de même ! Furieux, l’archange de la Pureté se dirigea vers eux.

« Raguel. Je peux savoir ce que tu es en train de faire ? »

L’Élément sourit, imperturbable.

« Désolé, Fariel, je pense qu’il vaut mieux que tu rentres chez toi. Remets mon bonjour à ta compagne. Nous nous recroiserons à l’occasion. »

L’ange déchu acquiesça, les yeux écarquillés, et fila sans demander son reste. Gabriel croisa les bras.

« Eh bien ? J’attends une explication ! »

Il fusilla du regard Raphaël qui grimaçait.

« De ta part également. Suivre Raguel n’est pas une excuse.

— Hey ! Je me contentais de l’accompagner, je ne savais pas…

— Suffit, les interrompit l’archange du Feu. Gabriel, je te rappelle aimablement que Fariel est mon enfant au même titre que n’importe quel ange de feu, et que tu n’as rien à dire. »

Gabriel ouvrit la bouche, puis la referma. Du point de vue d’un Élément, son discours se tenait, et cela l’horrifiait bien plus que son comportement. Comment était-il supposé juger une personne qui avait un double rôle pareil ? Il ne pouvait pas lui demander de choisir entre son statut d’Élément et celui d’archange : dans les deux cas, il dépendait de Lyth !

Il vit Raphaël se mordre les lèvres pour ne pas rire de son trouble et en fut blessé. Il faisait de son mieux ! Pourquoi se moquait-il ?

« Très bien, murmura-t-il. Fais ce que tu veux. »

Il Traversa, Remontant en Eden pour ne plus voir leurs visages hilares.

Laissés derrière, Raphaël et Raguel échangèrent un regard.

« Comment as-tu osé lui rétorquer ça ? demanda l’archange de la Foudre. À Gabriel !

— Tu n’imagines pas depuis combien de temps je rêve de lui dire cette phrase. »

Ils rirent, plus amusés que moqueurs, et retournèrent bras dessus, bras dessous à leurs occupations.

 

***

 

Belzébuth avait laissé passer un peu de temps avant d’appeler les archidémons. Il n’aimait pas les grandes réunions, entre autre parce qu’il savait ce que ses pairs pensaient sur certains sujets et qu’il trouvait donc inutile de les appeler pour le leur faire dire à voix haute. Cependant, certains points devaient être discutés de façon formelle.

Il avait donc invité Lilith, Asmodée, Bélial, Azazel et Astaroth. Lucifer n’avait pas été prévenu, même s’il était vain d’espérer qu’il ne soit pas au courant de leur présence.

« Maintenant que vous êtes tous là, je vais aller droit au but, déclara l’archidémon des Ténèbres dès que tous se furent installés. Je n’aime pas les anges, mais j’aime encore moins passer pour un idiot. Il s’est avéré que nous sommes capables de coopérer et ne sommes pas incompatibles.

— Tu ne penses tout de même pas à prolonger la trêve ? » s’écria Azazel.

Belzébuth la fusilla du regard. Il n’oubliait pas la dernière intervention malheureuse de l’archidémone.

« Sois contente d’être même présente. Je t’assure que si tu vas ne fût-ce qu’une fois à l’encontre de ma volonté, ta punition sera bien plus terrible qu’un simple exil. »

La démone fit la moue.

« Je croyais que tu nous avais convoqués pour qu’on donne notre avis.

— En effet. Et oui, j’envisage de demander la paix. Je n’ai pas envie de voir un autre d’entre vous mourir et nous savons que la guerre a été provoquée par les vampires. Continuer est ridicule. En plus, d’autres Éléments se baladent, Saâgh pour commencer, et je ne suis pas certain que nous puissions nous y fier.

— Shyin est incarné, avoua Asmodée. Il voulait intervenir pour Krro, mais je n’ai plus eu de nouvelles. Il a dû changer de plan en voyant que nous nous débrouillions seuls. »

Belzébuth fronça les sourcils mais ne posa pas de questions. La double allégeance d’Asmodée l’avait toujours agacé, mais il ne pouvait rien y changer.

« Saâgh et Shyin, donc. Aucun des deux n’est exactement fiable.

— Parce que certains Éléments le sont ? » demanda Astaroth.

Belzébuth renifla.

« Aucun, sans doute, même Sei. »

Les autres marmonnèrent leur approbation. L’archidémon des Ténèbres passa au suivant.

« Bélial ?

— Je ne suis pas trop pour une paix non plus, avoua leur benjamin. Ce n’est pas que je veuille continuer la guerre, mais…

— Tu veux juste continuer de pouvoir séduire de jeunes angelots innocents, commenta Lilith.

— Venant de la reine des incubes…

— Mes enfants n’ont pas déchu d’archange, ni de prince, aux dernières nouvelles. Ils savent se maîtriser. D’ailleurs, je pense que la plupart n’aiment pas se prendre la tête avec les vierges effarouchés. Il y a assez de démons consentants. »

Belzébuth haussa les sourcils, un peu surpris.

« Tu serais donc pour la paix, Lilith ?

— Oui. Il y a eu assez de morts. Je ne dis pas que nous devons coopérer avec les anges ou quoi que ce soit ! Mais une paix séparée, chacun chez soi, nous ferait le plus grand bien. De plus, il ne faut pas mettre tous les anges dans le même panier. J’ai beaucoup discuté avec Uriel depuis qu’elle est ici et ce n’était pas juste pour le plaisir de sa compagnie. »

Belzébuth acquiesça.

« Astaroth ?

— La guerre a commencé à cause des morts et en a juste amené plus. »

Il votait donc lui aussi pour la paix. Restait Asmodée, et celle-ci se frottait le menton, pensive. Au bout d’un moment, elle enleva le masque qui lui cachait le bas du visage, signe qu’elle trouvait la question importante.

« Pourquoi la guerre devrait-elle continuer ?

— Par orgueil, intervint une voix venant du fond de la salle. Celui des démons, celui des anges et celui de Lyth. »

Lucifer s’avança au-devant d’eux, s’inclinant devant Belzébuth.

« Je suis désolé d’être intervenu alors que je ne suis pas invité, mais je me considère concerné. »

Ce Prince-démon commençait à prendre un peu trop d’initiatives à son goût. D’un autre côté, qu’attendre d’autre venant d’un ancien roi de l’Eden ?

« Je pense que nous connaissons déjà tous ton point de vue sur la question, déclara Belzébyth. Es-tu prêt à pardonner à tes pairs ?

— Qu’ils m’aient trahi ne fait aucun doute pour moi, mais les démons ne doivent pas en souffrir pour autant. De plus, mon véritable adversaire restera toujours Lyth. C’est Lui qui a semé les graines du doute et du préjudice dans l’esprit des anges. En continuant à nous battre, nous suivons Son plan. »

Belzébuth ricana.

« Quels pauvres enfants de Sei nous ferions si nous continuions de suivre la volonté de Son plus grand opposant. »

Cette fois, plus personne ne protesta.

Table des matières - Chapitre suivant >